Loops et Wall trope
}}
Figure 96. Loops – 2013.08.18.19h53 (BOILLOT, Nicolas, 2013)1)
Loops,2) puis la série Wall trope3) qui la prolonge, marquent un changement de cap important dans ma pratique artistique et viennent répondre directement à certaines questions qui ont émergé lors de la création de Lambeaux et lors des mises en perspective théoriques effectuées pour ce doctorat. On vient de voir que l’intention de Lambeaux, - donner sa pleine expression au concept de SamplTV -, m’a permis de montrer la place des contraintes créatrices dans mon travail, témoignant en cela de la plupart des œuvres de remix numériques. Ce faisant, Lambeaux met à ma disposition un dispositif numérique complexe, qui me donne la liberté de penser d’autres développements et d’envisager autrement ses intentions et ses modes de diffusion. Lambeaux (comme SamplTV) sollicite plusieurs mises en perspective, celles : - du temps (démultiplié, circulaire), - de l’abondance (en lien avec le flux médiatique télévisuel), - de la collection (automatisée et déléguée au dispositif numérique ; éphémère dans le cas de SamplTV et Lambeaux, voire « cristallisée » dans les formats GIF de Lambeaux) - et du droit d’auteur (détournement plus affirmé des images originelles, mais toujours référentiel en lien avec la portée critique du remix).
On verra que ces perspectives imprègnent naturellement Loops, du fait de leur renforcement (celui du triptyque : abondance - collection - temps), et/ou de leur remise en cause (la remise en cause de la transgression du droit d’auteur, et ce faisant de la portée critique et référentielle du remix). Pour bien saisir l’évolution de cette série, je rappellerai aussi que Loops, puis Wall trope, participent d’une expérimentation, qui redonne une place centrale à l’artiste auteur que je suis, a contrario de beaucoup de mes œuvres, qui privilégiaient la relation de médiation et l’interaction avec le public. L’évolution de ces deux œuvres découle, en effet, fortement du plaisir offert par la création numérique. J’ai déjà relevé le plaisir de la créativité, le plaisir de l’interactivité avec le dispositif, le plaisir de la collection et le plaisir de la manipulation des codes et de leur détournement4). De ce fait, l’intention critique du remix s’efface au profit de l’intention plastique et expérimentale. Même si celle-ci a toujours été présente dans mon travail, elle s’affirme ici au fil d’une composition visuelle et cinétique sur le temps et l’espace que je qualifierai de « temporalité picturale » pour Loops et par extension, de « spatio-temporalité picturale » pour Wall trope. Elle est aussi constamment animée par la recherche du plus haut niveau d’émergence.
Figure 97. Loops – 2014.05.09.23h10 (BOILLOT, Nicolas, 2014)5)
Je commencerai à présenter plus en détail Loops. Je préciserai que cette œuvre a évolué au cours du temps, au fur et à mesure de l’intégration de nouveaux concepts et de nouvelles contraintes créatives définis par la programmation textuelle. Je dégagerai donc deux périodes dans cette expérimentation, la première, qui situe les bases du dispositif de création et la deuxième, qui étend ses potentialités dans le cadre d’une résidence d’artiste en 2013.
- Loops, la période fondatrice
Pour bien saisir la période fondatrice de Loops, il est nécessaire que je revienne sur le dispositif de création numérique de Lambeaux. On a vu que j’ai initié une nouvelle façon de « cristalliser » les mouvements et la temporalité du flux télévisuel en créant des GIF animés à partir des boucles d’images inhérentes au processus de création. Face à une boucle issue de Loops, on se trouve aussi confronté à une temporalité aplatie, où s’amoncellent les différents fragments extraits du cours du flux et réunis en un même instant par le processus. Pour arriver à cette réalisation, il faut simplement laisser le temps au processus d’extraire et d’accumuler ces évolutions au fur et à mesure que le flux est en train d’être lu. De fait, Loops nous propose, comme Lambeaux, une compression du temps encapsulée dans un GIF et répétée de manière itérative à l’infini.
- Le retour de l’artiste collectionneur J’ai décidé d’explorer plus avant cette contrainte créatrice, - composer avec le mouvement visuel de manière spatio-temporelle et encapsulée -, mais en n’utilisant plus le flux télévisuel comme source, mais celui de vidéos enregistrées sur les plateformes de contenu YouTube ou Vimeo6). En effet, le choix du média télévisuel de Lambeaux est un héritage de SamplTV, celui d’une intention (la mise en question des médias) et d’une époque (la télévision primant sur le Web en 2003). Dans Loops, mon intention est moins critique et plus expérimentale. J’exploite toujours l’abondance, mais ici celle associée au Web, et ce, pour créer une collection de vidéos. Je sélectionne ces vidéos en fonction du type, de la quantité et de la qualité des mouvements qui apparaissent. Ce matériau source et cette façon de sélectionner constituent une collection beaucoup plus personnelle et neutre, riche et pérenne, que le flux télévisuel de SamplTV et de Lambeaux. Ce faisant, je renforce aussi ici ma posture d’auteur-collectionneur. Et je retrouve une posture fréquente de mon travail (cf. par exemple, La lyre publicitaire ou Plagiairc). Ceci est d’ailleurs en phase avec les tendances relevées par les théoriciens de la création numérique, le principe de collection étant accentué et facilité par la dématérialisation et la mise à disposition sans précédent des contenus par l’intermédiaire d’Internet.
Cette collection de vidéos ciblées me permet d’avoir très tôt une représentation approximative des différentes formes susceptibles de venir s’accumuler sur la boucle, qui sera générée par le dispositif. Je peux sélectionner les flux des vidéos les plus adaptés à mon intention, puis, comme dans Lambeaux, je les mets à disposition du dispositif de création.
- La dissolution de l’original au-delà des limites admises du remix réflexif Il est temps de rappeler ici que, dans ce moment de « création > recherche » (cf. III.c.i), j’ai projeté d’interroger les limites mêmes de la définition du remix. Si ma première intention était d’exprimer pleinement le concept de SamplTV (Lambeaux), ma deuxième intention avec Loops est d’explorer progressivement une dissolution de l’original afin de rendre caduque la notion de plagiat. On a vu, en effet, qu’un remix se définit en fonction de la reconnaissance de tout ou partie du matériau, qui lui a servi de source, notamment dans le cas d’un remix réflexif, c’est du moins la définition qu’en donne Eduardo Navas, et qui pouvait s’appliquer à la plupart de mes œuvres précédentes. Loops marque une rupture dans cette filiation et se rapproche plus de la position de Jamie O’Neil pour qui, on l’a vu, « l’esthétique du remix n’a pas besoin d’une connaissance précise des originaux, mais d’une conception plus complexe d’une histoire qui cherche continuellement à se réinterpréter elle-même ». Pour ma part, j’ai souligné que, même si je reste attaché à la portée référentielle de la trace, dans le cas d’une intention critique et médiatrice, j’affirmerai, comme lui, que cela n’empêche pas aussi l’artiste de remix de pousser à l’extrême son processus de transformation. Surtout quand, comme ici, l’artiste poursuit aussi une troisième intention qui est celle du « plaisir de l’interactivité et de la manipulation des codes et de leur détournement ». On verra que Loops implique un fort degré de distanciation avec l’original, du fait des différentes transformations successives et du fort degré d’imprévisibilité engendré par son dispositif. Et qu’elle permet d’envisager autrement la paternité d’une œuvre d’art. Je deviens la seule personne, en tant que créateur de ces remix, à pouvoir retracer l’origine des différentes vidéos, que j’ai utilisées comme matériau. Il était d’ailleurs intéressant de constater, lorsque les spectateurs tentaient de découvrir d’où provenait l’origine des mouvements d’une boucle, le décalage entre leurs réponses et la réalité. Cette impossibilité à reconnaître la source m’affranchit enfin de la question du respect du droit d’auteur. Mais on va voir que la dématérialisation numérique, qui permet à la fois la captation des œuvres d’autrui et leur hyper transformation, met aussi en jeu la question de mes propres droits d’auteur.
- Du plagiat des œuvres d’autrui à la mise en jeu de mes droits d’auteur Loops permet de mettre en évidence la perte de contrôle vécue par un auteur publiant sur Internet. Il est intéressant de signaler que cette problématique se pose doublement dans Loops, à la fois en amont pour les auteurs des vidéos que j’utilise et en aval, pour moi, en tant qu’auteur des différents GIF que j’ai réalisés et publiés. En effet, la dématérialisation numérique agit à la fois sur le dispositif de création et sur la diffusion des œuvres. Ici, les vidéos, comme mes GIF, peuvent être classés comme « des biens non rivaux »7), c’est-à-dire que les opérations de diffusion, de consommation et de consultation n’entraînent pas leur perte de valeur pour l’auteur, qui reste toujours propriétaire du bien. C’est donc grâce à cette propriété inhérente au numérique, que j’ai pu facilement réutiliser les vidéos d’autres auteurs. Mais à mon tour, lorsque j’ai publié ces versions remixées de vidéos d’autres auteurs, sur mon site Web et sur d’autres sites, j’ai remarqué que les différentes boucles issues de Loops ont été par la suite, diffusées et copiées dans d’autres contextes sans mon accord. Force est de constater que j’ai perdu la maîtrise de leur diffusion et de leur appropriation.
Je prendrai pour exemple l’utilisation que font désormais les plateformes Web 2.0 des GIF. Ils intègrent désormais des milliers de ces boucles temporelles, le plus souvent extraites de vidéos, pour alimenter le nouveau langage visuel (émoticônes, acronymes, etc.) de la communication interpersonnelle sur Internet. Un utilisateur peut désormais choisir directement dans ces « réservoirs » de boucles d’images. Ce nouvel usage se fait, bien sûr, sans aucune considération pour le droit d’auteur des différentes sources de ces boucles, une situation que j’ai d’ailleurs cherché à révéler et interroger avec .urler et avec Plagiairc.
Figure 98. Résultats de la recherche de GIF à partir de mon nom de famille sur les sites Web de Twitter et Facebook (BOILLOT, Nicolas, 2016)
Si je donne cet exemple de plateformes Web 2.0, c’est que plusieurs de mes GIF issus de Loops sont inclus dans ce moteur de recherche et peuvent être désormais utilisés librement par un usager de ces plateformes pour communiquer. Il suffit de taper mon nom de famille pour avoir à disposition une dizaine de GIF que j’ai réalisés. Je n’ai bien entendu eu aucun droit de regard sur l’utilisation de mon travail dans ce contexte.
On se trouve bien dans le cas où, dès lors que l’on a publié un contenu sur le Web, celui-ci pourra être copié et réutilisé par n’importe qui, même si en principe, comme on l’a vu dans le chapitre sur le droit d’auteur, il reste toujours soumis aux droits patrimoniaux, voire au copyright. La transgression du droit d’auteur étant souvent au cœur de la création de remix numérique, je ne peux que m’incliner devant ce phénomène, même s’il me pose question d’un point de vue purement économique.
Quoi qu’il en soit, la question du droit d’auteur est très présente dans Loops, mais en creux. Notamment, au regard de l’évaluation de la frontière entre le plagiat et une œuvre transformative. Car dans Loops, contrairement à Lambeaux, je vais transformer tellement la source, qu’il sera le plus souvent impossible d’en retrouver l’origine. Je vais expliquer maintenant les étapes d’un tel processus de création.
- Des contraintes créatrices agissantes Loops met en jeu de nouvelles fonctionnalités, pour accentuer la distanciation avec l’original. Je réalise donc un nouveau programme, qui vise à le transformer de manière empirique, en lui faisant supporter une quantité variable et subite d’altérations. Je mets en place plusieurs contraintes créatrices possibles comme : appliquer une suite de couleurs arbitraires sur le flux ; exclure les ombres ou certains détails de la vidéo ; déterminer et soustraire certaines portions à l’aide de masques, dont je détermine moi-même la forme et le mouvement ; assigner des filtres avec des critères précis (de transparence, par exemple) ; ou appliquer d’autres transformations, qui vont morceler de manière encore plus accentuée ces éléments, etc. Je remarquerai que je retrouve ici les principes de travaux antérieurs, comme .urler (2006) et Spoiler (2007), qui transforment le flux par le principe de pochoirs en creux, dans lesquels s’accumulent ou apparaissent d’autres images.
Je soulignerai aussi que ces nouvelles propositions sont le fruit d’une recherche menée avec beaucoup de persévérance depuis 2012. Elles résultent d’un travail intense, mais aussi du plaisir de la création expérimentale, voire de la fascination que l’on peut ressentir devant le potentiel de création du dispositif numérique. Cette création s’appuie sur la perte de contrôle apparente, l’imprévisibilité, le hasard ou encore la création par accident, chers aux artistes du XXe siècle (cf. II.a.ii). Et elle accentue considérablement le phénomène d’émergence amorcé dans Lambeaux et génère des images à forte potentialité esthétique. Ainsi, dans le dispositif de Loops, la même vidéo peut être transformée de nombreuses manières différentes, en fonction des modes que je décide d’appliquer. Et elle donne potentiellement naissance une grande variété de remix, chaque fois uniques, car liés aux paramètres de configuration utilisés. Car le degré d’originalité (et de distanciation avec l’original) s’avère d’autant plus accentué, que le processus agit en temps réel sur un flux continu d’images et donc qu’une même altération est susceptible de produire un grand nombre de remix différents. Au final, comme dans Lambeaux, le dispositif produit une boucle. Elle représente un instant précis de cette composition empirique de « fragments de mouvements transformés » évoluant au cours du temps. La contrainte étant aussi de créer une boucle parfaite, sans début ni fin8), elle-même encapsulée dans un GIF animé. Pour mettre en avant l’unicité et l’originalité de chaque transformation, je nomme chacune de ces boucles avec la date et l’heure du moment précis où j’ai décidé de « cristalliser » les transformations des mouvements et de la temporalité de ce flux en perpétuelle évolution.
Comme on peut le voir avec la figure 99 ci-dessous, ces multiples contraintes créatrices ont permis la création de GIF d’une extrême variété, à la fois au niveau des couleurs, des formes et des types de mouvement.9)
Figure 99. Loops – Miniatures de 65 boucles (BOILLOT, Nicolas, 2012 - 2014)10)
- Loops, le temps de la résidence
Mon projet d’expérimentation Loops m’a permis d’être retenu pour un séjour de trois mois en résidence artistique, en 2013, à Poitiers, dans le cadre de l’appel à projets L’appart. Cette résidence est organisée par En attendant les Cerises Productions, en collaboration avec la ville de Poitiers et la Région Poitou-Charentes. Il s’agit de ma cinquième résidence, et j’ai déjà souligné tout l’intérêt tiré de ces situations. Je n’attends pas de celle-ci ce personnel de renfort, qui a été déterminant pour certaines œuvres et pour mon acculturation numérique. L’appel à projets L’appart propose surtout « une expérience de création s’articulant aussi bien sur le fait de vivre, d’habiter un espace, de créer, de rencontrer, de montrer et de diffuser dans un même lieu et temps de résidence »11). L’idée est donc de mettre à profit la densité du « temps de résidence » pour parfaire le dispositif de création numérique et l’expression de Loops ; puis de bénéficier de la pluralité des regards des partenaires et publics de l’espace artistique, notamment lors de l’exposition prévue à la fin de la résidence.
Figure 100. Loops – 2013.12.12.15h03 (BOILLOT, Nicolas, 2013)12)
Ce temps m’a permis de faire évoluer Loops. J’ai choisi ici d’utiliser comme « source », non plus des vidéos, mais des images fixes ou plutôt des formes visuelles. J’ai d’abord procédé, là aussi, à une collection de formes issues de banques de données sur le Web ou créées par moi. J’ai ainsi à ma disposition plusieurs centaines de formes géométriques, typographiques, etc. Ensuite, je sélectionne une ou plusieurs de ces formes et j’associe à cette sélection un mouvement, c’est-à-dire que je vais déterminer son déplacement à l’écran au cours du temps. Je peux aussi associer à cette sélection différentes couleurs. Au final, la déambulation de ma souris à l’écran va me donner la possibilité de créer une grande diversité de zones colorées évoluant différemment dans le temps et l’espace. Je peux, bien sûr, combiner cette nouvelle sélection avec les différentes contraintes créatrices déjà mises en place dans Loops pour les vidéos (assigner des filtres avec des critères de transparence, par exemple, etc.).
Figure 101. orBit – Impressions numériques sur toile, cadre en bois, caisse américaine
150 cm x 84 cm et 150 cm x 150 cm, Poitiers, France (BOILLOT, Nicolas, 2013)
La finalité de la résidence L’appart m’a conduit aussi à produire une série d’images fixes issues du détournement de Loops (à partir d’images fixes ou de vidéos), images que j’ai ensuite fait imprimer sur toile et encadrer. La fin de cette résidence s’est ainsi terminée par une exposition individuelle intitulée orBit13). J’y ai exposé Loops selon deux modalités parallèles : la projection de boucles créées durant cette période de résidence, et utilisant ces nouvelles sources d’images fixes ; l’exposition de tableaux reprenant une série d’images fixes réalisées avec ce nouveau dispositif. Mais on verra que Loops est plutôt appelée à être exposée dans des contextes plus dématérialisés.
- Wall trope, une composition sans limites
Je vais maintenant aborder une autre évolution importante du processus de création de Loops. Un développement qui va me permettre de créer des compositions qui, à la fois, n’ont pas de limite dans le temps (grâce au principe de la boucle répétée indéfiniment), mais aussi, n’ont pas visuellement de limite dans l’espace.
Figure 102. Wall trope – Big bang (BOILLOT, Nicolas, 2014)14)
La série de GIF intitulée Wall trope se place dans la continuité de mes expérimentations de composition de boucles, mais je cherche à explorer ici plus avant les notions de cadrage et de hors champs. En 2014, j’ai donc intégré au dispositif de Loops une nouvelle fonctionnalité qui me permet, grâce à une illusion d’optique, d’estomper les pourtours de mes compositions animées. Pour ce faire, je copie en temps réel la partie centrale de la composition. Cette partie reproduite se retrouve ensuite « greffée » de manière fragmentée sur les quatre côtés de l’image. Par ce principe, j’atténue les éléments présents en périphérie qui composent l’animation, je « dissous » le hors champ, je « surpasse » le format rectangulaire hérité des vidéos que j’utilise comme sources.
Grâce à ce procédé, je crée des boucles d’images qui, si on les regarde de façon individuelle, se présentent comme des boucles classiques de Loops. Il est, en effet, assez compliqué, vu la complexité des boucles ainsi créées, de voir au premier coup d’œil, que chaque pixel présent sur l’un des bords de l’image est en fait, la continuité des pixels présents sur le bord opposé. Cette continuité des pixels va émerger si l’on présente plusieurs fois cette même boucle à l’écran, selon une disposition en grille et sans espacement. Cette répétition va laisser transparaître un motif complexe en mouvement, sans délimitation visible. Ce motif va me permettre de définir dans le temps une animation, qui en théorie n’a pas de « fin » dans l’espace.
Figure 103. Wall trope – Kandid (BOILLOT, Nicolas, 2014)15)
J’ouvrirai ici une parenthèse, pour souligner à la toute fin de cette recherche, que cette intention se retrouvait déjà dans L’espace réinitialisable, la première œuvre non numérique, qui a ouvert ma démarche d’artiste de remix. Pour rappel (cf. II.b.i), les motifs des carrelages, qui constituaient la source de l’œuvre avaient justement été choisis pour permettre une spatialisation sans limites, qui perturbait et détournait la représentation classique de notre environnement quotidien. La rétrospective que constitue cette analyse de mes œuvres passées et actuelles témoigne à la fois d’évolutions fortes en lien souvent avec celles du champ de la création numérique, mais aussi d’intentions stables, qui dessinent l’identité et la généalogie de ma création. J’y reviendrai dans la conclusion. - Loops et Wall trope, une diffusion démultipliée
Le concept même de Lambeaux exigeait que cette installation vidéo soit située dans un lieu physique garantissant la mise en perspective critique conjointe des temporalités du flux télévisuel, du spectateur et de la boucle. Mais on a vu qu’un incident16) m’avait contraint, pour honorer mes engagements, à trouver les moyens de diffuser cette œuvre hors sol et hors temps, de façon dématérialisée, dans un lieu d’exposition à New York. C’est ainsi que j’ai utilisé pour la première fois le format GIF pour exposer mon travail.
Le concept de Loops ne me contraint plus à un lieu physique. On a vu que j’ai aussi réduit sciemment la capacité d’intervenir sur les processus de captation et d’accumulation du flux. Cette simplification et l’usage du format GIF me permettent d’envisager une parfaite autonomie de monstration de l’œuvre. Loops peut s’exposer dans plusieurs contextes différents. Et, notamment sur le Web, qui m’ouvre ainsi un espace démultiplié. Entre 2012 et 2016, j’ai ainsi pu être exposé dans un grand nombre de lieux d’expositions : - En 2012, à Londres, en Angleterre à The Photographers’ Gallery, dans le cadre d’une exposition consacrée à ce format : Born in 1987, The animated gif. - En 2013, à New York, U.S.A., dans le cadre de l’exposition DVD DEAD DROP Vol. 5, BEST OF au Museum of Moving Image. - En 2013, à San Francisco, U.S.A., dans le cadre de l’exposition intitulée #UPLOAD à la Gray Area Foundation. - En 2013, à Toulouse, France, mon application Pinacotek m’a aussi permis d’exposer Loops, dans le cadre du Festival Émergence à La Fabrique Culturelle à l’Université de Toulouse 2, en marge d’une conférence à laquelle j’ai aussi participé en communiquant sur « les processus de création comme phénomène d’émergence. »17) - En 2014,18) à Madrid, Espagne, à Chiraz, Iran, à Baden, Suisse et de nouveau à San Francisco, U.S.A. - En 2015, à Athènes, Grèce ; à Clermont-Ferrand, France ; à nouveau à Baden, Suisse ; à Mons, Belgique et à Taipei, Taïwan. - En 2016 à Champlitte, France ; Hong Kong, Chine.
Figure 104. Loops – Accumulation of titles of animated films (BOILLOT, Nicolas, 2013)19)
Je noterai aussi qu’une de mes boucles, Accumulation of titles of animated films à d’ailleurs gagné le prix Transnumeriques Awards @ Vidéoformes 2015, à l’occasion du 30e festival international d’arts numériques Vidéoformes 2015, à Clermont-Ferrand en France.
Pour finir avec Wall trope, je relèverai que sa monstration est uniquement dématérialisée sur Internet. Je l’ai, pour l’instant, limitée, par manque de temps, à mon site Internet, qui comporte une mise en page spécifique, permettant de visionner à différentes échelles ses motifs animés. Ainsi le visiteur a la possibilité, par l’intermédiaire des touches fléchées du clavier, de faire varier la taille de l’image de base et la répéter plus ou moins à l’écran. Mon application, Pinacotek, permet, elle aussi, ce type spécifique d’affichage. Je pourrai par la suite envisager de l’exposer dans d’autres cadres.
Figure 105. Wall trope – Corail – Trois niveaux de zoom (BOILLOT, Nicolas, 2014)20)
En conclusion, je remarquerai que, pour la plupart des expositions de Loops, ma présence sur place n’était pas nécessaire. Cela marque une étape dans mon travail, car auparavant elle était indispensable, du fait de la complexité de montage des différentes installations vidéo (hormis Plagiairc). La diffusion de Loops, et très prochainement de Wall trope, rend bien compte de l’impact de la dématérialisation numérique relevé dans l’état de la question théorique (I.a.i). On assiste ici à la suppression du cadre et de la fixité de l’exposition et à de nouvelles possibilités de diffusion, qui opèrent dans un temps composite et un espace démultiplié, sur et hors le réseau du Web. Puisque Loops est exposée, à la fois, dans des lieux traditionnels tels des galeries, centres d’art contemporain, festivals d’art vidéo, mais aussi, en parallèle, sur le Web, par l’intermédiaire des sites Web des différents « lieux » d’expositions, ou par celui de mon site personnel sur plusieurs pages dédiées. L’artiste numérique étant aussi appelé à faire lui-même de plus en plus la diffusion de son travail.
Ainsi s’achève ce moment de « création>recherche ». Elle a donné lieu à trois œuvres en série dont le développement est en devenir. Elle m’a permis de rompre progressivement avec mes œuvres passées tout en clarifiant les lignes de force identitaires et les spécificités de la création numérique qui restent en jeu dans ce nouveau travail. Dans une recherche création, on a vu que « le premier pôle concerne l’usage de la rationalité ; le second pôle recouvre celui de l’imaginaire. L’originalité de la recherche qui nous occupe tient […] à la liaison qu’elle introduit entre ces deux pôles »21). Ce moment de « création>recherche » constitue donc plus le second pôle. Mais il a aussi été le lieu d’un processus itératif de questionnement visant une construction conceptuelle ouverte qui marque l’interdépendance de mes pratiques de recherche et de création. Dans ce sens, il est intéressant de noter que l’hypothèse générale de la filiation de mon travail avec le remix artistique numérique a joué aussi ici un rôle moteur. A la fois, au niveau du questionnement théorique sur le processus de création en train de se faire qu’au niveau de la création elle-même, la rupture avec les limites admises du remix réflexif ayant constitué une nouvelle intention particulièrement active et féconde pour faire évoluer mes œuvres « en train de se faire ».
Je reprendrai ces éléments dans la conclusion et je préciserai notamment l’appartenance de notre travail au champ spécifique du remix, pris dans un sens définitionnel élargi.
Article suivant : Conclusion
Article précédent : ii.Lambeaux