1. Présentation résumée de l’œuvre1)

Plagiairc, discuter avec les mots des autres2) est le dernier exemple de remix que je commenterai. Il s’agit d’une œuvre complexe que j’ai réalisée en 2010 au cours d’une résidence de deux mois à « La Chambre Blanche3) », un centre d’artiste de la ville de Québec au Canada.

L’œuvre propose une réflexion sur les modes de communication par l’intermédiaire d’Internet ainsi que sur la place que les plateformes de mise en relation, type Facebook, occupent dans nos vies. Plagiairc interroge aussi les modes de consommation et d’appropriation du contenu d’autrui ; elle expérimente explicitement le plagiat et les limites du droit d’auteur, doublant ainsi le questionnement intrinsèque au principe du remix. Comme le dit Joanne Lalonde, « Plagiairc interroge le statut de toute déclaration publique donnée à lire en clavardage4), où chaque phrase devient l’objet d’une longue série d’appropriations, menées par des auteurs […], participant aussi du flux et de la citation »5).

Figure 82. Plagiairc Interface (BOILLOT, Nicolas, 2010)

Si j’ai revendiqué pour Spoiler la liberté de concevoir un dispositif simple, je réalise ici un dispositif artistique très élaboré. Plagiairc est conçue comme une salle de discussion textuelle dans laquelle un logiciel de communication utilise le réseau Facebook ou Google et permet de faire communiquer le spectateur auteur avec ses propres contacts, donc de manière privée et interactive. Mais à travers l’interface de Plagiairc, quand le spectateur auteur veut émettre une nouvelle phrase, il n’a pas la possibilité d’écrire librement par l’intermédiaire classique d’un clavier et d’un simple alphabet. Il est obligé d’utiliser des mots entiers prédéterminés : les mots des autres, la sémantique propre aux utilisateurs de la salle de discussion textuelle. Le logiciel puise ainsi dans une base de 40 000 phrases « publiques » françaises ou anglaises enregistrées sur l’Internet Relay Chat (I.R.C.), un protocole de communication textuelle instantanée servant principalement aux discussions de groupes. En premier niveau, chaque spectateur auteur de Plagiairc doit choisir sa langue et s’inscrire avec son compte d’utilisateur. Ainsi, le nom de l’utilisateur que l’on dénommera pour la démonstration, l’auteur n° 1 apparaît alors sur l’écran avec une graphie spéciale, les contours des lettres de ce nom étant constitués par des phrases issues de la base. L’auteur n° 1 sélectionne alors un à un, les mots « publics » offerts dans ces contours pour créer un premier message destiné à l’un de ses contacts, l’auteur n° 2. Si besoin, l’auteur n° 1 peut gommer les mots indésirables et corriger ses choix jusqu’à ce que sa communication ait le sens voulu. Le message ainsi obtenu s’affiche sur l’écran en remplacement du nom de l’auteur n° 1. L’auteur n° 2 peut alors lui répondre selon le même processus. Et ainsi de suite. L’ensemble de l’échange étant consigné durant la conversation, en dessous de l’écran comme dans le cas d’un « clavardage » classique. En résumé, le dispositif de Plagiairc est un logiciel de clavardage qui génère un « patchwork textuel » à partir des mots de phrases d’auteurs anonymes. Les spectateurs auteurs écrivent alors une sorte de cadavre exquis qui prend le pas sur leurs écritures habituelles de « clavardage ». Et ce d’autant plus que leur créativité peut s’appuyer sur le fort pouvoir de stimulation et d’évocation des mots et de leur agencement absurde. Ce faisant, il renvoie aussi les spectateurs auteurs aux flux communicationnels générés sur les plateformes de discussion textuelle. Mais surtout, ils les incitent à transgresser le droit d’auteur et à se poser la question de sa banalisation qui est au cœur de nos pratiques Web 2.0.

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
L’œuvre se cantonne-t-elle à une relation de création ou affirme-t-elle aussi une relation de médiation ?

Constitutive des œuvres numériques, notamment des œuvres hypermédiatiques comme ici reliées à Internet, la relation de médiation est centrale dans Plagiairc. On retrouve d’ailleurs ici plusieurs des caractéristiques d’.urler. C’est le public qui permet à l’œuvre de fonctionner, le médium numérique facilitant les opérations d’appropriation et de réinterprétation. L’expression de l’œuvre est intangible et ouverte. Mais on peut remarquer que Plagiairc va plus loin qu’.urler dans cette relation de médiation. Le caractère éphémère et inachevé de l’œuvre est particulièrement assumé dans la mesure où le propos de l’œuvre est de mettre en perspective critique les espaces de discussion interpersonnelle. Le dispositif propose une interaction plus forte que dans les autres pièces, dans la mesure où le spectateur auteur a plus de prise sur le résultat : il peut écrire des messages précis, revenir sur ses choix, décider quelle est la portion de phrase à afficher sur l’écran pour réalimenter la proposition de mots qui lui est faite. Il peut aussi échanger avec différents spectateurs auteurs. La perte de contrôle existe comme dans .urler, si on considère que c’est le logiciel qui va alimenter le patchwork textuel qui remplit les contours des lettres de la phrase produite et ainsi conditionne le potentiel de mots disponibles pour écrire. Mais, cette contrainte posée, ce sont bien les spectateurs auteurs qui interviennent et reprennent le contrôle de l’échange et du renouvellement de la phrase affichée sur l’écran et donc du renouvellement d’un nouveau potentiel de mots. Plagiairc propose ainsi, dans des temps donnés, une sorte de jeu alterné entre les spectateurs auteurs et la fonction générative du logiciel. Je noterai en revanche que si la relation de médiation est forte, elle est aussi dépendante de la capacité du spectateur auteur à se saisir du dispositif, son usage n’allant pas de soi et nécessitant un apprentissage minimal.

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
La « contrainte dite créatrice » est-elle en jeu ?

Les contraintes imposées par le dispositif numérique sont ici aussi déterminantes. Je ne vais pas les décrire à nouveau. Je rappellerai simplement que c’est le dispositif qui impose l’usage du réseau de communication interpersonnelle, donc son questionnement. C’est lui qui détermine les conditions d’une polyphonie qui permettent un récit fragmenté « éclaté par l’écriture hétérogène et les voix multiples qui s’expriment » et qui « joue de l’ouverture participative, du partage élargi et de la culture libre » ici, « sur la base de l’invitation (forum) » et non pas comme dans .urler sur la base « de la récupération (détournement […] à partir de divers sites »6). Enfin, ce sont les règles imposées qui conditionnent le double jeu d’une interaction avec l’œuvre : – Un jeu empreint du hasard de la sélection par le logiciel (la sélection de mots offerts aux futurs auteurs est tirée aléatoirement de la collection conçue à partir de l’I.R.C., collection basée sur le principe de la copie dont on rappellera qu’il est un des principes les plus activés par l’ère numérique) ; – mais un jeu soumis, aussi, au contrôle du spectateur auteur (le choix du contact avec qui dialoguer ; le choix des mots parmi la sélection ; l’élaboration d’un message précis et la mise en œuvre d’une interaction avec l’autre auteur).

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
Comment les nouvelles possibilités de diffusion numérique dans le temps et l’espace sont-elles exploitées ?

Cette œuvre a connu plusieurs temporalités et plusieurs espaces. Une première étape est constituée par un temps et un lieu délimités : deux mois dans une résidence dans un centre d’art québécois. C’est dans ce contexte que j’ai affiné l’intention de l’œuvre, le centre d’art me permettant concentration et échanges fructueux. Le temps et le lieu de la résidence m’ont également permis de bâtir les bases du dispositif. J’ai notamment enregistré sur différents canaux I.R.C. des conversations dans des groupes de discussions publiques en anglais et en français et défini la collection de phrases donc de mots que va pouvoir utiliser le spectateur. J’ai aussi élaboré le logiciel de « clavardage » et les techniques connexes nécessaires au dispositif, grâce aux moyens humains et techniques proposés par la résidence dans le cadre de son appel à projets. Enfin, à la fin de mon séjour, j’ai présenté l’œuvre dans le temps d’une exposition réalisée au centre d’art en proposant aux visiteurs de devenir les spectateurs auteurs des dialogues de l’œuvre. Je ferai ici une parenthèse pour remarquer, d’un point de vue méthodologique (cf. III.a.), combien la création en résidence permet d’étayer et de stimuler la créativité de l’artiste et de soutenir son projet. Notamment, dans le cas d’une résidence par appel à projets comme ici, ma candidature ayant été retenue en fonction de son adéquation avec le projet spécifique des résidences franco-québécoises « Géographie variable7) ». La résidence permet aussi de libérer l’artiste du poids des contraintes techniques, celles-ci étant très fortes dans Plagiairc. Elle permet aussi souvent une première confrontation de l’œuvre avec le public. Dans le cas d’une œuvre conçue pour une diffusion autonome sur Internet, ce premier temps performatif de l’œuvre peut permettre si besoin d’améliorer les conditions d’appropriation du dispositif par le spectateur internaute.

Dans une deuxième étape, une fois la résidence terminée, viennent le temps et les lieux de l’œuvre proprement dite. Car ici, Plagiairc s’affranchit du temps et de l’espace concret, car elle est une œuvre non seulement « par et pour Internet » (comme .urler), mais aussi « sur Internet ». De fait, j’ai créé un site Internet8) pour permettre à quiconque d’utiliser Plagiairc en téléchargeant l’application directement depuis le site. Le lieu se dématérialise : les lieux des différents contacts de l’utilisateur s’ouvrent potentiellement. La deuxième temporalité de l’œuvre s’exprime, de 2010 à aujourd’hui, à travers l’expérience privée des centaines de personnes qui ont pu interagir avec l’œuvre. Plagiairc conjugue ainsi le temps et le lieu de la création attachés à la résidence. Et les temps et les lieux de la re-création sur Internet, ceux des internautes auteurs et de leurs contacts.

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
Comment s’exprime la notion de « public initié » liée à l’art contemporain ?

Plagiairc a été conçue comme une expérience privative, via un logiciel que l’on peut télécharger et expérimenter sur son ordinateur personnel. Pour renforcer le caractère personnel de l’expérience de l’œuvre, le spectateur auteur a la possibilité d’utiliser son propre compte Facebook ou Google et de communiquer avec sa liste de contacts habituels. Là aussi, comme dans La lyre publicitaire ou .urler, la familiarité du dispositif (ici, l’ordinateur et Facebook/Google), la trivialité du propos (ici, la communication interpersonnelle dans sa forme la plus simple : l’échange instantané, le lien phatique) et le conditionnement de l’œuvre à l’action du spectateur destinent délibérément Plagiairc à un public non-initié. Ceci implique bien sûr que le public soit internaute et usager des réseaux sociaux, mais aussi qu’il accepte de se familiariser avec un dispositif qui requiert une phase minimale d’apprentissage à partir du mode d’emploi le plus complexe que j’ai eu à réaliser, les moyens de la résidence m’ayant permis d’aller très loin dans la technicité.

Figure 83. Plagiairc Mode d’emploi de l’interface (de 1 à 7) destiné aux spectateurs auteurs (BOILLOT, Nicolas, 2010)

En revanche, la première période de l’œuvre, celle de la création et de l’exposition en résidence, s’est plutôt adressée à un public initié si l’on considère le cadrage culturel et institutionnel associé au centre d’art d’une grande ville.

INDICATEUR
Un espace de création dépendant de l’acculturation numérique des artistes (I.a.ii)
Quel est le niveau d’acculturation numérique de l’artiste ?

Le concept de Plagiairc, « parler avec les mots des autres », a été pensé plus de huit ans avant sa réalisation. Mes œuvres précédentes témoignent de ma capacité à prendre en charge le dispositif numérique et m’autorisent à y assumer la qualité d’artiste expert. Mais Plagiairc me met face à mes limites de l’époque. Si je suis capable d’élaborer le concept, la difficulté inhérente à la complexité de programmation nécessaire à sa réalisation me conduit à classer cette idée dans la catégorie « utopie » de mon journal de bord. Même si, en créant ce concept, je savais qu’il était tout à fait possible de le réaliser avec l’aide d’un programmateur professionnel. C’est pour cela que j’ai pu proposer Plagiairc lors d’un appel à projets en novembre 2009 dans le cadre des résidences franco-québécoises « Géographie variable 9)». Je soulignerai ici l’importance méthodologique du journal de bord pour consigner un projet, mais aussi pour le faire évoluer et lui permettre d’exister lorsque les conditions de réalisation sont enfin réunies. Le journal de bord est bien cette « mémoire vive » évoquée dans la partie méthodologie III.a .

Figure 84. Plagiairc Croquis préparatoire, extrait du journal de bord (BOILLOT, Nicolas, 2010)

La particularité de cette résidence est, qu’en plus de m’offrir un atelier de création pendant deux mois, la structure prenait aussi en charge le salaire d’un programmeur professionnel, Jean-François Lahos, pour m’épauler dans la réalisation des parties techniques les plus complexes, incompatibles avec mon niveau en programmation de l’époque. J’ai donc réalisé un cahier des charges poussé à partir du projet du journal de bord ; et je l’ai affiné avec lui au fur et à mesure de son intervention. Ainsi, si .urler réunissait deux artistes plasticiens, Plagiairc illustre encore mieux les compétences hybrides exigées par la complexité et l’interdisciplinarité des œuvres numériques. Car elle est le fruit d’une collaboration entre l’artiste numérique et un programmateur hautement spécialisé.

Je noterai pour finir que la haute technicité et le caractère ouvert de l’œuvre ont exigé que je me forme à ce nouveau langage de programmation auprès de mon collaborateur. Ceci m’a apporté un double gain. D’une part, cette nouvelle compétence garantit le maintien de l’œuvre en fonctionnement au-delà du temps « accompagné » de la résidence. Il importait en effet, que je puisse continuer apporter des modifications au logiciel pour qu’il réponde complètement au cahier des charges que j’avais initialement défini, le temps de la résidence étant relativement court et la complexité d’usage nécessitant de nombreux retours d’expérience. D’autre part, cette nouvelle compétence me donne aussi plus d’autonomie pour envisager éventuellement d’autres créations basées sur une programmation Java.

INDICATEUR
Un espace de création dépendant de l’acculturation numérique des artistes (I.a.ii)
Quel type d’intervention avec le logiciel applicatif ?
Quel niveau de langage de programmation est utilisé pour la création ?

Plagiairc a rendu nécessaire la création d’un logiciel applicatif capable d’encapsuler 40 000 phrases françaises et 40 000 phrases anglaises récupérées durant deux mois sur le réseau I.R.C. Ce logiciel met aussi en œuvre des règles pour que des phrases puissent être « piochées » aléatoirement dans cette sélection, afin de composer le contour de chacune des lettres du message composé par l’émetteur ou le récepteur de la conversation privée. Cela a nécessité un langage de programmation textuel complexe (Java), réalisé, on vient de le voir, avec l’aide du personnel de renfort, le programmateur professionnel lié à la résidence. A contrario, on voit aussi que l’œuvre a la particularité de s’appuyer sur des protocoles ou des plateformes existantes, que cela soit le réseau I.R.C. ou les plateformes d’échange type Facebook ou Google qui sont ici utilisées comme de simples vecteurs de conversation.

INDICATEUR
Codage, traduction et copie : des principes fondateurs et reliés de la création numérique ? (I.a.iii)
Quelle place, quel rôle de la copie numérique ?

La copie, comme principe de création, opère à plusieurs endroits ici. D’abord, elle agit classiquement au niveau de la constitution d’une collection de données textuelles (les phrases des utilisateurs des groupes de discussion d’I.R.C.) ; puis, au niveau du procédé d’apparition des phrases et de l’utilisation de certains de leurs mots dans un message. Elle agit aussi au niveau du téléchargement du logiciel lui-même. Depuis 2010, l’application a été téléchargée plus de 1500 fois sur le site Web de Plagiairc. On peut donc imaginer que l’application a été au moins utilisée des dizaines de fois dans le cadre d’une expérience privée.

Je remarquerai en revanche que j’ai résolument refusé d’inclure dans mon dispositif des moyens pour copier les adresses des contacts ou pour savoir si quelqu’un utilisait ou non l’application. Dans Plagiairc, toutes les interactions entre les personnes utilisant l’application se font dans un cadre strictement privatif. En effet, il était important pour moi de respecter une déontologie vis-à-vis de mes utilisateurs, à la fois pour des raisons éthiques, mais aussi parce que l’œuvre requiert un certain niveau de confiance, chaque utilisateur devant fournir son identifiant et son mot de passe pour entrer dans l’application.

Pour finir avec cet indicateur, on a vu dans mon état de la question que la copie numérique pouvait aussi avoir un rôle conservatoire et/ou un rôle d’archivage des œuvres. Je renverrai le lecteur au chapitre sur la question de l’obsolescence qui concerne particulièrement cette œuvre.

INDICATEUR
Les effets d’une diffusion des flux d’information à une large échelle par l’intermédiaire du Web (I.b.i)
L’abondance à l’ère numérique : un phénomène préexistant en mutation
Une capacité de production et de création généralisée

La saturation et l’abondance d’informations sont aussi ici au cœur de mon travail. Et .urler et Plagiairc, œuvres « par Internet », les exploitent de façon amplifiée. On a vu, en effet, que le questionnement de Plagiairc s’est porté sur la quantité exponentielle de communications textuelles réalisées sur le réseau I.R.C., protocole de communication textuelle conçu avant le Web et qui sert à la communication instantanée, principalement sous la forme de discussions de groupe. Ce réseau m’offre donc un matériau en grande quantité, mais il a aussi une autre qualité : sa représentativité. Dans la mesure où tout le monde peut accéder à ces groupes de discussions publiques et intervenir, le réseau représente un instantané des sujets, de la sémantique et de la syntaxe propres à l’année 2010 ; et il donne une image représentative des utilisateurs de groupes de discussion, le plus généralement des hommes entre seize et vingt-cinq ans. Cette double qualité nourrit particulièrement ma création.

INDICATEUR
La notion d’auteur revisitée par les nouvelles technologies (I.b.ii)
La création numérique et la transgression du droit d’auteur (I.b.iii)

Comme son nom l’indique, Plagiairc est une mise en perspective du droit d’auteur et du plagiat. Mon intention est de me demander à partir de quels critères on peut considérer qu’un mot appartient encore à son auteur selon le droit patrimonial ou le copyright et selon les nouveaux usages du Web 2.0. On a vu que le droit d’auteur est soumis à un incessant rapport de force socioéconomique et qu’il dépend aussi des conditions techniques de transmission et de stockage de l’époque. À l’ère numérique, le protocole I.R.C. constitue un espace de discussion qui produit un certain nombre de phrases d’auteurs d’un groupe donné. L’archivage qui lui est associé cristallise ce « stock » de production, rassemble « ce patrimoine commun » interne à une communauté. Mais surtout, Internet rend ce stock accessible. La facilité technique et financière de copier et de partager ces données et la malléabilité et la dématérialisation de leurs contenus installent une première partie de mon propos et de mon dispositif de création. Il s’agit ici de questionner le statut de données textuelles appartenant aux auteurs de ces discussions et d’avoir les moyens de constituer une collection de mots qui alimenteront le dispositif. La deuxième partie de l’œuvre s’appuie, elle, sur le constat que le droit d’auteur se voit débordé par les pratiques engendrées par le Web 2.0. Celles-ci invitent à partager et à modifier des contenus protégés par les droits d’auteur, accélèrent les échanges et banalisent la transgression du droit d’auteur. En choisissant Facebook et Google comme plateformes de création et en proposant délibérément aux spectateurs auteurs de Plagiairc les mots d’auteur des groupes de discussion présents sur l’I.R.C., je cherche à faire évaluer la frontière entre le plagiat et une œuvre transformative, sachant qu’ici, j’impose dès le départ, via le logiciel applicatif, la possibilité de garder trace de la phrase originale afin de garder comme élément saillant la continuelle transgression du droit d’auteur.

INDICATEUR
De nouvelles pratiques de création « par, pour et avec Internet » (I.c.i)
Internet, espace simultané de création et de communication
Net Art
Diversité des courants

Plagiairc illustre bien l’évolution de la création sur Internet. Internet devient ici le lieu de réflexion, l’atelier en ligne et le lieu d’exposition de l’œuvre. La création est conçue par, pour et avec le réseau Internet et privilégie le principe de communication propre au Net Art et ses corollaires : l’immédiateté et l’immatérialité des interactions. En revanche, au regard de la propension du Net Art à faire la critique sociopolitique et technologique d’Internet, je remarquerai que si mon propos est de critiquer la façon dont on aborde le droit d’auteur aujourd’hui, il n’est pas directement lié à la critique actuelle des réseaux sociaux et celle de l’utilisation abusive faite par Google et Facebook (que j’utilise ici comme de simples vecteurs de communication). Même si je suis personnellement soucieux de la protection des données privées des utilisateurs de Plagiairc et des miennes. Enfin, je noterai que la source première d’inspiration de l’œuvre n’est pas le Web, comme souvent dans le Net Art, mais le protocole Internet de discussion I.R.C.

INDICATEUR
De nouvelles stratégies de création « par, pour et avec Internet » (I.c.i)
Diversité des courants
Différenciation d’un art « sur le réseau » et d’un « art en réseau »

Plagiairc relève d’un art « en réseau » dans la mesure où l’œuvre ne peut exister sans le réseau Internet, élément majeur de sa conception et de sa représentation. Comme on l’a vu, l’art « en réseau » repose aussi sur une pluralité de protocoles, ce qui se traduit pour Plagiairc par l’exploitation d’un des protocoles d’Internet (l’I.R.C.) et de deux plateformes de communication interpersonnelles du Web.

INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le médium numérique situe un « temps créateur », en lien notamment avec la notion d’interactivité.

Comme établi précédemment, j’ai précisément défini les conditions d’interactivité de l’œuvre. Par l’intermédiaire d’une interface, je permets aux spectateurs de faire l’expérience d’une œuvre à « immanence multiple », pouvant donner lieu à un nombre indéfini d’exécutions conforme à mon intention d’origine. Le changement d’état du spectateur opère lors de la découverte des règles qui définissent « l’œuvre ouverte ». On est ici dans le cas d’une interactivité active, car c’est le spectateur qui doit, pour faire fonctionner l’œuvre et pour communiquer, « parler avec les mots des autres ». Son expérience est pleinement convoquée du fait du cadre privatif de l’interaction et non pas public ou institutionnel, comme dans le cas d’une exposition. Et l’engagement du public est d’autant plus fort que l’interaction demande un apprentissage minimum et le suivi d’un mode d’emploi précis qui comporte plusieurs étapes.

Figure 85. Plagiairc Interaction, Toulouse, France (BOILLOT, Nicolas, 2010)

INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
L’interactivité suivant les types d’interfaces dans le cas spécifique des œuvres de Net Art

Plagiairc propose « une interactivité dite de contribution », au sens où le définit Jean-Paul Fourmentraux10). C’est le spectateur qui, en interagissant avec l’œuvre, ici en communiquant avec son interlocuteur, va créer un potentiel de nouvelles phrases donc de nouveaux mots à utiliser et sans cesse conduire à le renouveler. Cette interactivité de contribution était présente aussi dans .urler. Mais dans Plagiairc, elle se double d’une « interactivité d’alteractions ». Car c’est « l’action collective en temps réel » qui compose le cœur de son projet artistique. Pour pouvoir fonctionner, Plagiairc nécessite au moins deux personnes discutant entre elles et ayant décidé de le faire dans un cadre privé. Cette « communication interhumaine médiée » peut d’ailleurs s’externaliser. Soit l’émetteur et le récepteur de la communication textuelle communiquent à travers le dispositif de Plagiairc, soit uniquement une des deux personnes l’utilise et une autre utilise un logiciel de communication textuelle classique (client XMPP/Jabber11)). La contrainte d’écriture est alors basée sur la communication asymétrique. C’est-à-dire qu’une personne utilisant Plagiairc va être obligée d’utiliser uniquement les mots publics présents dans le contour des lettres, alors que son interlocuteur va pouvoir écrire comme à son habitude, n’importe quel mot nécessaire à son échange. Cette interaction dissymétrique va accentuer l’effet induit par le procédé qui exige d’écrire à partir de mots déterminés. D’un côté, le pouvoir évocateur de ces mots extérieurs à l’utilisateur de Plagiairc va stimuler sa créativité un peu à la manière de l’OuLiPo12). Mais, d’un autre côté, à cause du vocabulaire disponible réduit, l’utilisateur de Plagiairc ne va pas être en mesure d’expliquer pourquoi il communique avec son interlocuteur en créant des phrases le plus souvent complètement absurdes, et contenant de nombreuses fautes d’orthographe et de grammaire. Cette capture d’une discussion du 3 novembre 2011 en témoigne :

Extrait d’une discussion réalisé avec Plagiairc entre Auteur 1 et Auteur 2, le 3 novembre 2011 :

21:51 Auteur 2 : les fautes de grammaire a préparé c’est bon
21:53 Auteur 2: par politesse un peu d’intimiter dans un cachot
21:54 Auteur 1 : Bonjour Hoobastank depend contexte Oui force non pas apres test
21:55 Auteur 2 : tout les québecois sont jaloux… de tes larmes pour des reflexes de folie
21:56 Auteur 1 : Bisquet blonde Note le metier a tout taf des fois tu dis déco numero
21:57 Auteur 2 : la fatalité mon yogourt mon sofa domptable disait un ami
21:58 Auteur 1 : l’absolutisme veux la preuve pour la machine ça à faim
21:59 Auteur 2 : Parlons avant l’operation surtout je suis foutu c’est bien mieux non ?
21:59 Auteur 1 : Ouais je te le fout pas encore prolo
22:01 Auteur 1 : Simples alsaciens autrement faux toulousain évite. les jaloux
22:01 Auteur 2 : ma vaiselle sest amuser a mes depends ds le sens ou doux jésus
22:04 Auteur 1 : la cheville Lance raleuse et fuyarde un prince tout Coucou
22:04 Auteur 2 : Comment utiliser le spaghetti j’ai des caribou dans le meme Starlight amèrement les ongles
22:08 Auteur 2 : curieux de te voir t es dur dis moi comment une relation chicane au fond en enfer
22:09 Auteur 1 : celui qui le babouche m’en tamponne mieux la cervelle
22:10 Auteur 2 : je suis prête à être maman quoi les superstar à la piscine ? J’aime les monologue du célibats
22:12 Auteur 1 : tout le monde veut prendre sa place, mais vu nos joins s’est pas serieux
22:12 Auteur 2 : a varennes quand cest des augmentation des insomniaques sans queue ni tete
22:13 Auteur 2 : c’est mignon. vraiment J’espère pas paraître salaud vous jouez avec vos vulves.
22:13 Auteur 1 : jessaye darreter le belge
22:14 Auteur 1 : la guerre c’est suisse
22:15 Auteur 2 : une situation de plus en plus les mouches je suis tes petites dependantes
22:17 Auteur 1 : Bescherelle c’est la Swatch genre totalement genève cellulite
22:17 Auteur 2 : c hilarant les levres gercées Quelle machine a ecrire ? il va prendre
22:20 Auteur 2 : bouuh t’es aussi dominé ? Un bisou ? une illettrée ? l’agilité. peut tout faire
22:21 Auteur 1 : on recommence la prochaine Compote bleu . Quel rebèle vraiment. Ca vous fais fans Poumpoum.
22:22 Auteur 2 : les diplomés foudroyés ! un secret entre nous j’ai regardé sursauter des parenthese
22:22 Auteur 1 : goy vendrait le monde
22:24 Auteur 2 : le sucre a bouffer des chatte tes chanceux ca parrait trop drole en turquoise
22:25 Auteur 2 : par l’intermédiaire c’etait l’expérience des tabarnac
22:27 Auteur 2 : ce vocabulaire ça la bien entouré c’est du lsd les méfaits de fabriquer des cure dents Internet
22:29 Auteur 2 : jaimerais carla tellement cruel je declare la minceure plus officiel et miteux
22:31 Auteur 1 : les Doors En plein centre ville. désigne une façon de dire tout les jours le droit du vent

On le voit, le fil de ces phrases laisse aussi transparaître l’effet positif d’un certain apprentissage, mais il émane toujours de ces échanges avec « les mots des autres » une certaine étrangeté tantôt poétique et/ou insensée, d’autant plus flagrante quand elle répond à l’écriture « normale » d’un utilisateur de logiciel de communication textuelle classique, dans le cas d’une communication asymétrique.

INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le « temps compté » et le « temps retrouvé » de l’œuvre numérique, soumise à l’obsolescence programmée des dispositifs dont dépendent la création et sa monstration.

Comme dans le cas de .urler, le fait d’utiliser une compagnie privée, Facebook comme le vecteur de communication permettant à l’utilisateur de parler avec sa liste de contacts habituels, a entraîné en partie l’obsolescence du logiciel. Car en 2015, Facebook a décidé de changer le protocole de communication utilisé pour sa messagerie. D’un protocole ouvert et open source (XMPP/Jabber13)), Facebook a choisi d’utiliser un protocole propriétaire rendant désormais impossible l’utilisation de Plagiairc sur Facebook. L’application fonctionne toujours avec le réseau Google, mais il se peut que dans un futur proche, Google décide lui aussi de changer son protocole de communication. On a vu qu’avec .urler, j’avais été confronté à ce problème et que j’avais compris, avec le recul, l’importance d’utiliser des outils et des plateformes de communication open source moins sujet à des transformations radicales, car ne dépendant pas d’intérêts financiers. Mais d’un autre côté, cette contrainte d’utiliser ces réseaux privés les a mis indirectement en perspective critique, ainsi que le statut et l’expérience personnelle des internautes auteurs de ces réseaux. Je l’ai dit, cela n’était pas dans mon intention première. Mais cette critique des plateformes de communication type Facebook s’exprime malgré moi et n’est pas inintéressante. Cela m’amène donc à assumer le risque de l’obsolescence, en toute connaissance de cause. Je remarquerai que si Google venait à modifier ses protocoles de communication, on retrouverait alors comme dans le cas d’.urler, une œuvre réduite à l’état de traces textuelles et de bribes d’historiques de communication.

INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le temps retrouvé grâce au remix numérique

La collection qui fonde le potentiel de Plagiairc comporte 40 000 phrases issues des groupes de discussion du réseau I.R.C. en 2010. De fait, que la création de nouvelles compositions textuelles par le spectateur auteur opère en 2010, aujourd’hui ou demain, Plagiairc remet sans cesse en visibilité la sémantique des groupes de discussion d’une époque, celle de 2010, notamment leurs vocabulaires, leurs idiomes, leurs interjections, leurs fautes d’orthographes et de grammaire, etc. Comme dans le cas de .urler et de La lyre publicitaire, le remix numérique rend compte d’un temps passé, fixé, conservé, mais aussi réinterprété par le dispositif numérique et par le nouveau cadre de référence des utilisateurs. Ainsi, sauf à subir les effets de l’obsolescence décrite ci-dessus, la collection de mots de 2010 garde tout son potentiel, seul change la culture (donc la lecture) du spectateur auteur.

INDICATEUR
L’artiste comme collectionneur par l’intermédiaire d’Internet (I.c.iii)
De l’artiste collectionneur à l’artiste curateur du XXIe siècle

J’ai déjà amplement décrit le principe de collection à la base de Plagiairc, à la fois en présentant l’œuvre et en revenant sur la place de l’abondance et du principe de la copie dans ce travail. On a vu que la collection était source de matériaux et principe de création, directement reliée à la diffusion de flux d’information à grande échelle sur certains protocoles d’Internet (I.R.C.) et bien sûr, facilitée par les capacités du médium numérique. Mais ici, je relèverai que j’assume la double posture d’artiste collectionneur et curateur, dans la mesure où je procède non seulement à la captation, la sélection de données, mais que j’organise le sens et les conditions de leur réagencement et de leur exposition, même si ces opérations passent par le spectateur auteur.

INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
La définition du remix dépend du type et de la diversité de matériel source
La définition du remix dépend des pratiques de détournement.
Le remix réflexif

Le remix se définit, entre autres, par son matériau source. Dans Plagiairc, celui-ci est « la phrase et ses mots » issu de conversations antérieures, y compris de celles qui viennent d’être produites par l’auteur. L’œuvre est basée sur la composition textuelle. Mais, l’image produite par ces graphies ourlées de phrases est également très signifiante et même interactive, puisque c’est elle qui réagit au curseur du spectateur auteur. Plagiairc tend ainsi vers un remix avant tout textuel, mais aussi visuel. La définition du remix passe aussi par la pratique de détournement utilisée. Plagiairc nous place dans le cas d’un remix réflexif. Le sampling est à la base de l’œuvre : le dispositif est basé sur une collection de fragments, puis il invite le spectateur auteur à créer lui aussi à partir d’un procédé de fragmentation et de recomposition. Propos central de l’œuvre, la transgression du droit d’auteur conduit le dispositif à jouer aussi avec la reconnaissance partielle de la phrase d’origine. L’œuvre ouverte garde potentiellement une capacité mémorielle à destination du lecteur, qui voudrait revenir sur l’historique de son échange et de l’origine de ses choix et de ses sources (notamment par un procédé de surbrillance qui garde la trace des lettres prélevées). Avec Plagiairc, ma création correspond donc toujours à la définition du remix de Navas. A contrario, on le verra, de mes travaux actuels.

INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
Le débat sur « l’originalité de l’œuvre »

Cet indicateur renvoie au fait que le remix serait « un langage plus ou moins étranger, référent à différents alphabets et éléments émergents de nouvelles cultures en devenir ». Dans Plagiairc, les phrases recueillies à partir du réseau I.R.C. et le remix final créé par le spectateur auteur reposent sur la même langue faite de mots semblables, mais c’est l’auctorialité des phrases formées avec ces mots dans les groupes de discussion qui est mise en jeu. Mon intention est justement ici de demander comment ces « mots d’autrui » peuvent appartenir à d’autres et prendre un tout autre sens ? Est-ce que l’on peut définir un auteur par rapport à une phrase ? Est-ce qu’un mot, le fragment d’une phrase écrite par un auteur donné, peut constituer une œuvre protégée par le droit d’auteur ? En quoi la nouvelle composition textuelle issue du « clavardage » est-elle une œuvre originale ? L’originalité appartient-elle au mot pris dans la phrase d’origine ou au sens de la phrase donnée par l’agencement de ce mot ? On retrouve ainsi toute la gradation des questions sur l’originalité de l’œuvre et sur le droit d’auteur.

INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
Le degré de distanciation avec l’original

La transgression du droit d’auteur est au cœur de Plagiairc. Il est donc important pour moi ici de ne pas perdre la trace des sources originales afin d’afficher et de provoquer cette transgression. Le degré de distanciation avec l’original est donc faible, par principe. Mon intention est de prendre des phrases d’auteurs (I.R.C.) et de les manipuler et de perturber leur lecture sans que jamais on ne perde totalement leurs traces. Les phrases incluses dans le remix textuel généré par le dispositif, à partir de la collection constituée via I.R.C., sont lisibles, mais dans des conditions particulières, leur tracé suivant la curviligne des lettres et obligeant le lecteur à se contorsionner… Si les mots du remix textuel créé par le spectateur auteur n’ont plus de rapport avec le sens de leur phrase d’origine, ce sens peut, en revanche, être facilement retrouvé, car ces mots sont restés en surbrillance dans la phrase d’origine. Enfin, quand le spectateur auteur envoie un de ses messages à son contact, il renouvelle aussi le remix textuel proposé par le dispositif et le défilé des phrases incluses. Mais il peut facilement revenir aux messages précédents et retrouver la trace de leur création (sauf à dépasser un certain nombre d’échanges). Plagiairc entretient donc un lien constant avec l’original afin de garder en fil rouge la question du droit d’auteur et de sa transgression.

INDICATEUR
Le remix et les courants artistiques (II.a.i.)
La définition du remix dépend d’une histoire de l’art (limitée ici au XXe siècle)

Du point de vue de son lien avec une histoire de l’art, on peut dire que Plagiairc fait plutôt référence aux pratiques surréalistes des années 1920, ainsi qu’aux pratiques de cut-up initiées par Burroughs et Gysin dans les années 1960. Le détournement est relativement simple, la lecture de l’œuvre aisée, la part de hasard existe même si elle est limitée à la générativité du potentiel de mots mis à disposition pour la création par le public. L’œuvre ne fait pas d’emprunt à des œuvres d’art et l’objet référentiel (les mots du groupe de discussion de 2010) reste visible. Toujours selon nos indicateurs, la propension d’un remix « révélateur d’une époque » est donc aussi présente. Plagiairc fait cohabiter plusieurs temporalités, celle des spectateurs auteurs et celle de la mémoire collective fragmentée et pérennisée des utilisateurs de l’Internet Relay Chat de 2010. Enfin, je m’inscris aussi dans une question majeure de cette période de l’histoire de l’art : celle de l’auctorialité, car la négation de l’artiste au profit d’un spectateur « auteur et créateur » est pleinement assumée et recherchée, même s’il s’agit d’une co création, le dispositif artistique restant relativement contraint dès le départ.

INDICATEUR
Le remix textuel (II.b.iii)
Le remix textuel avant le numérique / Le remix textuel numérique
Amplification du principe combinatoire, du principe de collection, de la diversité des contraintes créatrices et de mise en jeu de la question de l’auctorialité.

On l’a vu, le principe combinatoire du texte, le recours à la copie et la fonction patrimoniale de cet agencement renvoient étroitement au principe du remix, et ce, bien avant le remix numérique. Mais le passage au numérique va accentuer ces caractéristiques. Plagiairc en témoigne. Elle s’inscrit dans la lignée de mes précédents travaux inspirés par l’OuLiPo, La lyre publicitaire, mais aussi d’autres, préparatoires non présentés ici14) où l’imposition de contraintes génère une nouvelle forme de composition textuelle.

Figure 86. Plagiairc - sanglot (BOILLOT, Nicolas, 2010)

De même, Plagiairc fait une référence explicite à l’idée de bibliothèque universelle de Kurd Lasswitz (1904) qui est au centre des remix textuels non numériques. Mais grâce au numérique, l’accès à une quantité inégalée et nouvelle de sources textuelles issues de ce patrimoine commun (ici rassemblé dans le réseau I.R.C.) amplifie cette référence. De même, d’un côté, la pluralité des auteurs des sources textuelles utilisées et leur effacement au profit de la constitution d’une ressource de mots disponibles, et d’un autre côté, la délégation de la création aux spectateurs auteurs mettent en jeu explicitement la question de l’auctorialité. Enfin, le passage au numérique permet l’exploration d’autres contraintes et d’autres détournements (comme ici, via des plateformes de communication et des logiciels applicatifs). Ceci renouvelle la création du remix textuel non numérique et rejoint en cela les remix artistiques numériques exploitant les réseaux sociaux15) ou les flux R.S.S.16) (cf. chapitre II.b.iii).


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1)
On trouvera des références à Plagiairc dans Abécédaire du Web, le premier commissariat en ligne du Laboratoire NT2 de l’UQAM, Montréal, Canada, mai 2012 (http://nt2.uqam.ca/fr/expositions/pieces/epistolaire). Dans Répertoire des arts et littératures hypermédiatiques (http://nt2.uqam.ca/repertoire/plagiairc). Et dans Rhizome Artbase (http://classic.rhizome.org/artbase/artwork/50350/).
2) , 8)
BOILLOT, Nicolas. Plagiairc [en ligne]. 2010. [Consulté le 24 mai 2016]. Disponible à l’adresse : http://www.plagiairc.com/.
3)
La Chambre Blanche [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 15 juin 2016]. Disponible à l’adresse : http://www.chambreblanche.qc.ca/fr/event_detail.asp?cleLangue=1&cleProgType=2&cleProg=1228848816&CurrentPer=File.
4)
Expression signifiant bavardage avec un clavier.
5)
LALONDE, Joanne. Abécédaire du Web 26 concepts pour comprendre la création sur Internet. Québec : Presses de l’Université, 2012. [Consulté le 28 mai 2016]. ISBN 978-2-7605-3537-4. Disponible à l’adresse : http://extranet.puq.ca/media/produits/documents/2329_Abécédaire du Web.pdf. OCLC: 868219121.
6) , 7)
LALONDE, Joanne. op. cit.
9)
> Les travaux en ligne 2010 | Géographies Variables [en ligne]. [s. d.]. op. cit.
10)
FOURMENTRAUX, Jean-Paul. AUTEUR FRAGMENTÉ. La création collective à l’heure d’Internet. Recherches en Esthétiques. 2008, no 14, p. 10.
11)
Extensible Messaging and Presence Protocol [en ligne]. [S. l.] : [s. n.], 6 avril 2016. [Consulté le 28 mai 2016]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Extensible_Messaging_and_Presence_Protocol&oldid=125051524. Page Version ID: 125051524.
12)
JOUET, Jacques. OULIPO (Ouvroir de littérature potentielle) [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 28 mai 2016]. Disponible à l’adresse : https://www-universalis--edu-com.nomade.univ-tlse2.fr/encyclopedie/oulipo/.
13)
Extensible Messaging and Presence Protocol [en ligne]. [S. l.] : [s. n.], 6 avril 2016. op. cit.
14)
BOILLOT, Nicolas. Carré textuel / Textual square [en ligne]. 2002. [Consulté le 24 mai 2016]. Disponible à l’adresse : https://www.fluate.net/travaux/carre_textuel/.
15)
ARCANGEL, Cory. Working On My Novel. [S. l.] : Penguin, 31 juillet 2014. ISBN 978-1-84614-742-5.
16)
STEIN, Robin. poemeDada [en ligne]. 2005. [Consulté le 9 juillet 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.eidophusikon.net/PoemeRSS/poemeDada.html.