.urler
1. Présentation résumée de l’œuvre
.urler1) est issue d’une collaboration avec l’artiste Pierre Bourdareau2), en 2006 .urler tente d’éprouver le pouvoir thaumaturgique des mots et convertit les paroles en images et en lettres. L’interactivité est au cœur de l’œuvre. Le spect’acteur est invité à dicter un ou des mots à un dispositif, directement relié à un moteur de recherche d’image. Il déclenche ainsi la production d’un remix visuel et textuel à partir de données sonores. La figure suivante donne l’exemple d’un remix obtenu après la dictée du mot « blanc ». .urler cherche ainsi à interroger les rapports entre langage naturel et langages formels, entre conversation et programme numérique. Le principe associe donc deux démarches interreliées, l’une dirigée vers des présupposés linguistiques et l’autre, orientée vers la capture et la manipulation de flux de données issues du Web (ici, Google Images).
Figure 72. .urler – blanc (BOILLOT, Nicolas, BOURDAREAU, Pierre, 2006)
À l’origine, il s’agit donc de procéder à un « assemblage poétique de logiciels », une mise en relation raccourcie entre un logiciel de reconnaissance vocale et un moteur de recherche sur Internet. Mais on le verra, le propos de l’œuvre va bien au-delà dans la mesure où elle questionne et révèle nos navigations sur le Web et les contraintes parfois fécondes, parfois absurdes, auxquelles nous soumettent les plateformes de contenu. De fait, le procédé s’exerce dans une logique à la fois performative et déceptive. Un lien sémantique peut, en effet, s’établir (à tort ou à raison) entre les index sonores aléatoirement choisis et leurs équivalents visuels, produisant des relations de l’ordre de la métonymie voire du contresens, qui sont familières des écritures textuelles sous contraintes.
2. Analyse méthodologique selon les repères de la grille
INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
L’œuvre se cantonne-t-elle à une relation de création ou affirme-t-elle aussi une relation de médiation ?
.urler affirme la relation de médiation propre aux œuvres numériques. En effet, on a vu qu’elle propose aux spect’acteurs de dicter ses propres mots à Google Images et de provoquer ainsi une interaction active. Elle fait émerger des opérations de transformation et d’interprétation typiques d’une création inachevée, ouverte et éphémère. Cette œuvre intangible est également le lieu d’une perte de contrôle apparente des auteurs et du spect’acteur, perte de contrôle qui est au cœur de l’intention de Pierre Bourdareau et moi-même, dans la mesure où .urler questionne ici les effets d’absurdité et de sérendipité rendus possibles par l’accès à l’infobésité du Web.
INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
La « contrainte dite créatrice » est-elle en jeu ?
Le processus créatif d’.urler repose sur des contraintes très élaborées. Le dispositif artistique est conçu de telle sorte qu’il canalise l’expression des spect’acteurs ; un mot dicté par le spect’acteur par l’intermédiaire d’un microphone permet d’interagir avec l’ordinateur. Ce mot entraîne une redirection vers Google Images et crée une lecture visuelle et fragmentée du résultat. Et surtout, il oblige à subir les contraintes définies par Google Images qui, en fonction d’un mot recherché, va produire une suite d’URL d’images hébergées sur différents sites, cette production opérant dans un rapport plus ou moins lointain avec le mot dicté. Le hasard est ainsi convoqué par le dispositif lui-même ainsi que, on l’a vu, la perte de contrôle et la sérendipité, autant de processus mis en perspective par le remix visuel issu du remixage des images hétéroclites générées par chaque mot dicté.
Une nouvelle relation au médium (I.a.i) Comment les nouvelles possibilités de diffusion numérique dans le temps et l’espace sont-elles exploitées ?
Cette œuvre que l’on peut qualifier de Net Art utilise le Web pour fonctionner. Mais elle dépend aussi de l’interface nécessaire à la dictée par le spect’acteur. Elle n’a donc été montrée que lors d’expositions sous la forme d’une installation interactive réalisée durant Le temps des appareils, à la galerie Faux-Mouvement, Metz, France et Le temps des appareils – Part 2 à la galerie Le Cube, Issy-Les-Moulineaux, France. Le temps de monstration d’.urler est donc un temps instantané, car l’œuvre n’existe qu’au moment du rapport direct entre les mots du spect’acteur et la représentation visuelle résultant de la recherche de ces mots dans un moteur de recherche d’images. Pour les mêmes raisons, .urler dépend aussi d’un lieu donné, celui des galeries précitées.
Figure 73. .urler – Interaction, Le Cube, Issy-les-Moulineaux, France
(BOILLOT, Nicolas, BOURDAREAU, Pierre, 2006)
INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
Comment s’exprime la notion de « public initié » liée à l’art contemporain ?
Cette installation confronte le spect’acteur à un microphone et à un écran d’ordinateur, et ce, selon des procédés familiers et accessibles (le microphone, la recherche via le site de référence en matière de recherche d’images, Google Images). Cela influence directement le rapport du public à l’œuvre. La simplicité, la familiarité voire le caractère ludique de ce procédé fait que l’on assiste donc à « une tentative d’effacement de l’œuvre au profit de l’expérience du spect’acteur » et ce, d’autant plus, que le mode d’emploi bien que toujours nécessaire, reste simple (parler dans un microphone et dicter pour faire apparaître des images en conséquence). Seuls le lieu de monstration, la galerie d’art ou le musée peuvent créer une distance avec un public non initié à l’art contemporain.
INDICATEUR
Un espace de création dépendant de l’acculturation numérique des artistes (I.a.ii)
Quel est le niveau d’acculturation numérique de l’artiste ?
.urler est issu d’un collectif de création qui réunit deux artistes plasticiens aux compétences différentes. Cette hybridation de deux démarches artistiques permet d’approfondir la rencontre entre deux langages (langage naturel et langages formels) et entre plusieurs données (le son, le texte et l’image) et leur transposition numérique. Cette œuvre active plusieurs strates de fonctionnement de l’ordinateur : une partie hardware (composée du microphone et de l’ordinateur) et une partie software composée de deux logiciels. Un logiciel applicatif propriétaire va transcrire textuellement la parole des spect’acteurs. Cette entrée textuelle va ensuite être insérée automatiquement dans un autre logiciel que j’ai créé spécifiquement pour .urler, pour aller chercher chaque mot dicté dans le moteur de recherche d’images. C’est ainsi qu’.urler manipule des données existantes. C’est-à-dire que le dispositif fait appel à la banque de données d’images indexées par les moteurs de recherche. Son but est de démontrer qu’il est désormais possible, pour n’importe quel mot dicté, d’obtenir un résultat de plusieurs centaines d’images en relation plus ou moins évidente avec le mot dicté et son sens. On constate donc qu’.urler a nécessité un niveau de culture technique et numérique assez avancé, ce qui explique en partie l’intérêt de ce collectif d’artistes aux compétences hybrides.
Figure 74. .urler - tous (BOILLOT, Nicolas, BOURDAREAU, Pierre, 2006)
INDICATEUR
Un espace de création dépendant de l’acculturation numérique des artistes (I.a.ii)
Quel type d’intervention avec le logiciel applicatif ?
On vient de voir que le dispositif repose sur deux logiciels applicatifs. Un logiciel propriétaire et un logiciel que j’ai spécialement créé pour la réalisation de l’œuvre. Je rappellerai que dans .urler, le remix obtenu au final est une représentation visuelle et télescopée des résultats possibles de la recherche réalisée à partir d’un mot sur Google Images. Cette représentation visuelle et composite se voit attribuer aussi la graphie du mot à l’origine de ce remix, par exemple tous dans la figure ci-dessus. À la manière d’un pochoir inversé, les différentes formes des lettres, qui composent le mot recherché, vont être soustraites de l’image composite et apparaître ainsi en creux sur les accumulations d’images générées par le mot, dans mon exemple généré par tous. Au cours du temps, les différentes images incluant chaque mot vont aussi s’accumuler au fur et à mesure que le spect’acteur va nourrir le processus en dictant de nouveaux mots au dispositif artistique. Le logiciel applicatif agit ainsi à plusieurs niveaux sur l’image et sur le texte, sur un remix des données associées à un mot dicté, puis sur un remix résultant des données associées à une succession de mots dictés, et ce, en fonction de la profondeur d’intervention du spect’acteur.
INDICATEUR
Codage, traduction et copie : des principes fondateurs et reliés de la création numérique ? (I.a.iii)
Quelle place, quel rôle de la copie numérique ?
On remarque que la copie est encore une fois ici considérée comme un procédé artistique central et accentué par le passage au numérique. Elle met en perspective le résultat de la recherche d’images et son caractère absurde et démultiplié. La copie permet la transgression des droits d’auteur potentiellement associés à ces images collectées par Google Images.
INDICATEUR
Les effets d’une diffusion des flux d’information à une large échelle par l’intermédiaire du Web (I.b.i)
L’abondance à l’ère numérique : un phénomène préexistant en mutation
.urler est une œuvre de Net Art dont le fondement même s’appuie sur l’abondance : sur la saturation et l’infobésité du Web et ses corollaires (accès à l’information visuelle, notamment, mais aussi prépondérance dans nos vies des plateformes de contenu et des moteurs de recherche, comme Google Images ; exposition des données personnelles ; transgression effrénée de leurs droits d’auteur…) et sur la facilité d’accès aux médias qui y sont présents. Mais l’œuvre va plus loin en cherchant aussi à créer elle-même de l’abondance, en triant par mot clé les images, en les copiant et en les fragmentant, en les détournant et en les accumulant.
INDICATEUR
Les effets d’une diffusion des flux d’information à une large échelle par l’intermédiaire du Web (I.b.i)
Une cohabitation de deux types de diffusion, vertical et horizontal
Les œuvres précédentes, La lyre publicitaire et SamplTV étaient inféodées à un média de masse, la télévision et elles dénonçaient la diffusion verticale de l’information. Ici, le passage sur le net d’.urler souligne l’arrivée d’une diffusion plus horizontale, plus décentrée, à la fois au niveau des sources visuelles (les différents auteurs des images collectées sur Google Images) ou des sources sonores et textuelles (les mots choisis par les spect’acteurs). Ceci dit, on peut aussi imaginer que certaines images de Google Images sont issues de médias de masse ou de corps constitués liés à une diffusion verticale. Ou encore, renvoyer à la mise en question actuelle de Google du fait de son emprise de plus en plus forte sur notre façon de penser et d’interagir avec l’information ou avec les autres. L’ombre de la diffusion verticale est donc elle aussi présente et c’est justement elle que l’œuvre essaie de révéler et de mettre en question.
INDICATEUR
La notion d’auteur revisitée par les nouvelles technologies (I.b.ii.)
La création numérique et la transgression du droit d’auteur (I.b.iii)
Œuvre de Net Art, .urler met en exergue « le régime de la connexion, de l’interaction et de la dissémination » apporté par le Web. L’état de la question nous a montré combien ces technologies entraînent « un changement de valeur d’un droit d’auteur perturbé, détourné voire annihilé ». En choisissant spécifiquement la plateforme Google Images, .urler questionne la transgression du droit d’auteur et les modalités d’accès et d’organisation de l’information générée par le Web. En effet, Google Images met à disposition du public une somme considérable d’images qui « semblent » libres de droits pour les usagers lambda ou en tous cas, qui activent des pratiques illégales du fait de la facilité d’accès et de téléchargement des données. .urler désigne ainsi l’incidence de ces pratiques sur la transgression du droit d’auteur. Et les remix générés par son dispositif, relèvent, de façon métaphorique, la perte de contrôle et l’indifférenciation des acteurs-auteurs, que cela soit celles des auteurs des images, des spect’acteurs auteurs des mots ou des deux auteurs de l’œuvre… tous soumis au contre-emploi (en matière de droit d’auteur), au hasard et au contresens.
INDICATEUR
De nouvelles stratégies de création « par, pour et avec Internet » (I.c.i)
.urler illustre les moyens accrus dont bénéficient les artistes aujourd’hui. Car la capacité de création est largement favorisée ici par l’inflation de nouvelles données sans cesse renouvelées, la mise à disposition généralisée de plateforme de diffusion en évolution permanente, - ici Google Images -, et la révolution conjointe de la consultation numérique par un nombre accru d’internautes.
On peut qualifier .urler d’œuvre de Net Art, car elle est intrinsèquement liée au Web à la fois dans son propos, son fonctionnement et une partie de sa monstration. Dans cette œuvre, le Web est donc à la fois une source d’inspiration, un lieu de réflexion, mais on notera qu’il n’est pas ici un lieu d’exposition de l’œuvre. L’installation nécessite un lieu physique pour pouvoir fonctionner.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
L’intention de l’artiste crée les conditions d’action du spect’acteur
Par accumulation, rapprochement, opposition, configuration nouvelle, l’intention est à la fois de faire apparaître de nouvelles significations de mots issus de l’univers mental du spect’acteur. Et de mettre en visibilité une facette indicible des flux normalement instaurés par les moteurs de recherche, leur sélection et principe d’archivage et de consultation et interaction avec l’internaute. .urler peut aussi relever d’une œuvre « à immanence plurielle »3) dont parle Genette, car elle peut donner lieu à un nombre indéfini d’exécutions conformes à l’intention d’origine.
Figure 75. .urler - Illustration préparatoire (BOURDAREAU, Pierre, 2006)
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le changement d’état du spect’acteur
Le spect’acteur de l’œuvre est doublement actif, c’est lui qui génère et perturbe le flux d’images par sa parole. Il interagit avec le processus et fait varier le résultat à l’écran. Mais ce faisant, il est aussi interpellé quant à son propre usage du Web.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
L’interactivité suivant les possibilités d’intervention laissées au spect’acteur
L’interactivité suivant les types d’interfaces dans le cas spécifique des œuvres de Net Art
Si l’interactivité existe, elle marque, tout de même, ses limites par rapport à d’autres œuvres plus ouvertes et réflexives. Car si c’est bien le spect’acteur qui va proposer le mot à rechercher, c’est le logiciel seul qui va récupérer une vingtaine d’images en fonction de ce mot et les accumuler de manière aléatoire et en boucle. Après sa dictée, le spect’acteur n’a donc plus de pouvoir sur la suite du dispositif. Il peut juste choisir de ne plus parler et ainsi laisser la boucle indéfiniment se répéter. Ou alors il peut simplement reprendre la parole ou la laisser à d’autres pour que de nouveaux mots réalimentent le dispositif et génèrent de nouvelles configurations. Pour paraphraser Alain Lioret et Pierre Berger, ce remix numérique permet de « laisser pénétrer l’autre dans mon œuvre »4).
L’interactivité est donc majeure dans .urler, au sens où l’œuvre n’existerait pas sans elle. Mais on peut constater, si l’on reprend la catégorisation de Jean-Paul Fourmentraux5), qu’elle se limite à une « interactivité contributive ». Cette catégorisation repose une interface, ici volontairement simplifiée : le clavier et la souris sont remplacés par un microphone. Ceci permet au spect’acteur d’introduire lui-même les données qui vont avoir « une incidence sur le contenu ou la forme de l’œuvre ». En revanche, l’interface ne permet pas de composition collective, l’interactivité de contribution ne se doublant pas ici d’une « alteraction », toujours au sens de Jean-Paul Fourmentraux (celle-ci apparaîtra plus tard dans mon œuvre Plagiairc). De fait, le spect’acteur intervient toujours, mais de façon externe, en introduisant un mot. Et son action vise uniquement à déclencher un processus qui échappe ensuite totalement à son contrôle. Ce qui permet à .urler de souligner, de façon encore plus évidente, le contrôle du réseau dans nos vies, notamment au niveau de nos choix et de nos données. Cette analyse montre combien la présence et le niveau de l’interactivité sont des éléments fondateurs du dispositif artistique, mais aussi une stratégie à part entière pour soutenir le propos de certaines œuvres.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
L’œuvre fragilisée par l’obsolescence
Cette œuvre a été très vite obsolète pour deux raisons. La première raison découle du fait que pour réaliser .urler, j’ai programmé textuellement en utilisant un logiciel propriétaire (Macromedia Director). Au bout de quelques années, la société gérant ce logiciel a décidé de ne plus le mettre à jour et a donc rendu obsolète mon programme. C’est d’ailleurs, en partie, à cause de cette expérience que j’ai décidé ensuite de me tourner vers des logiciels open source, qui sont développés et améliorés en continu par une communauté plutôt qu’une compagnie. L’autre raison concerne l’utilisation du moteur de recherche Google Images. Celui-ci a aussi modifié son fonctionnement. Il a brisé le lien que j’avais utilisé pour ma programmation ; le lien qui permettait, à partir d’une page de résultats, d’extraire chaque adresse, chaque URL d’images spécifique à un mot à partir du code source HTML. Avec du recul, on peut donc considérer cette œuvre comme performative, les seules traces restantes de l’œuvre sont des photographies (des captures d’écran) et une vidéo réalisée à l’époque.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le temps retrouvé grâce au Remix numérique
Comme dans le cas de la Lyre publicitaire et de SamplTV, cette œuvre, réalisée en 2006, pérennise, par la copie et l’agencement des fragments, des images originales récupérées lors de l’interaction avec le processus. Il se peut que depuis, certaines images utilisées aient disparu et que la seule trace de leur existence reste la capture d’écran de l’époque. Le remix mettant ainsi en avant sa capacité mémorielle à condition comme ici, que la référence à la source originelle soit préservée, comme l’entend Eduardo Navas dans sa définition du remix.
INDICATEUR
L’artiste comme collectionneur par l’intermédiaire d’Internet (I.c.iii)
Ici on retrouve le principe de collection, mais dans ce cas particulier, elle n’est pas réalisée par l’artiste comme dans le cas de La lyre publicitaire. C’est le moteur de recherche qui fait ce travail. Il construit une collection d’images disponibles. Et c’est l’artiste qui conçoit un dispositif capable de puiser dans ce potentiel pour créer son œuvre et pour rendre visible et détourner les éléments de cette collection. Dans .urler, le rapport à la collection est donc double. L’artiste délègue cette fonction à un moteur de recherche. Il utilise « un collectionneur » (ici Google Images) et il n’est pas collectionneur lui-même. Mais le principe de collection reste central dans la mesure où c’est ce principe qui est révélé et mis en question dans cette œuvre.
INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
Le remix réflexif
Tout ce qui vient d’être décrit renvoie à la pratique de l’échantillonnage employé dans le cadre d’un remix réflexif. .urler se rapproche en cela de SamplTV. Mais elle se distingue de La lyre publicitaire qui conjugue suivant la profondeur d’interaction du spect’acteur un remix réflexif et un remix sélectif. Ce dernier étant apparenté à l’une des formes les plus anciennes de remix. Dans .urler, le sampling agit à différents niveaux. Les images sont prises telles quelles sur les différents sites qui les hébergent. Le moteur de recherche les rassemble, « les collectionne… » en référençant chaque image avec son URL et selon une catégorie (par exemple, la collection des images renvoyant à « blanc »). Puis ces images, - cette collection d’une expression d’un même mot -, vont être accumulées. Et dans le même temps, les lettres du mot recherché vont être incluses dans la représentation visuelle de cette accumulation. Elles s’y inscrivent en creux un peu à la manière d’un pochoir inversé et invisible. Fragmentations et accumulations, à la fois d’images et de lettres, produisent un léger effacement. Je m’éloigne ainsi de l’original sans perdre sa trace. On notera que l’accumulation additive des fragments modifiés va continuer au cours du temps. Il va conduire à créer un « entre-deux » d’autant plus accentué que le dispositif prévoit aussi d’accompagner l’addition avec un effet de légère transparence. De quoi affirmer les pertes de repères propres au remix, mais aussi traduire l’intention première de Pierre Bourdareau et de moi-même, celle de proposer un « assemblage poétique de logiciels ».
Figure 76. .urler – être (BOILLOT, Nicolas, BOURDAREAU, Pierre, 2006)
INDICATEUR
Le remix et les courants artistiques (ii.Le remix dans les courants artistiques)
Le rapport majoritaire à l’objet référentiel
L’état de la question théorique me permet d’attribuer la filiation de cette œuvre à la pratique des affichistes et notamment, par référence au travail de Jacques de La Villeglé. Mais au lieu de récolter des affiches déchirées dans la rue, .urler se propose de récolter des images sur le Web et de les accumuler au cours du temps. Quelque part, on peut aussi dire qu’.urler cherche à « les lacérer » notamment par la découpe des lettres du mot ayant généré la recherche d’images. Comme dans ces travaux des années 1960, le hasard (ou l’absurdité des liens entre les images) a aussi ici une part prépondérante. On vient de voir aussi que l’accumulation des différentes images les unes sur les autres va rendre visible une mémoire collective fragmentée qui garde en elle les traces de son histoire. .urler peut donc être considérée comme une œuvre allégorique. Ce remix visuel devient un révélateur du passé et du présent pour des publics actuels. Ce faisant, il questionne aussi nos futures pratiques et relations aux images présentes sur le Web.
INDICATEUR
Le remix visuel « numérique » (II.b.ii)
Évolution rapide de la création du fait de l’exploitation des performances toujours grandissantes des ordinateurs
On se trouve ici dans le cas où de plus en plus d’opérations sont déléguées, automatisées lors de la conception du programme. Concevoir autant de règles permet de rendre plus floue la représentation visuelle finale d’une œuvre. C’est la conjugaison entre le potentiel des images disponibles à travers le moteur de recherche et la série de règles automatisant la récupération des données, l’inclusion du mot dans l’image et leur accumulation au cours du temps à l’écran, qui donnent le résultat final.
INDICATEUR
Le remix textuel et le remix d’objet (II.b.iii)
Le remix textuel dépendant de « contraintes créatives »
Amplification du principe combinatoire, du principe de collection, de la diversité des contraintes créatrices et de mise en jeu de la question de l’auctorialité.
On peut qualifier aussi .urler de remix textuel, même si le texte provenant de la parole des spect’acteurs, est avant tout utilisé comme moyen de sélection des images de la collection arbitraire de Google Images. On a vu que ce remix textuel s’exprime concrètement lors de l’inclusion des lettres du mot au centre de la représentation visuelle issue des images sélectionnées.