SamplTV
1. Présentation résumée de l’œuvre
Les médias « ont opéré une des mutations les plus importantes de l’histoire de l’humanité : ils ont produit une nouvelle forme de connaissance : la culture mosaïque ; ils sont en train de modifier nos manières de penser et de sentir ; ils changent nos catégories mentales. »1). Nous avons vu qu’une grande variété d’œuvres, les œuvres de remix en particulier, entreprennent une critique acerbe des médias. SamplTV2) participe de ce mouvement selon une double mise en perspective critique : celle de notre soumission aux flux continuels des images télévisuelles et celle du pouvoir d’attractivité invisible de la communication télévisuelle.
Figure 67. SamplTV – le 14 janvier 2003 à 15 h 31 (9 captures d’écran) (BOILLOT, Nicolas, 2003)
SamplTV est une installation vidéo interactive qui a pour particularité de remixer le flux télévisuel en direct, un flux considéré ici en tant que potentiel d’images, de mouvements et de signes. Le processus extrait, de façon automatisée et en temps réel, toutes les parties d’images qui ont changé lors de la diffusion d’une émission télévisuelle. Il les capture et les redistribue ensuite de façon spatio-temporelle sur une boucle de vingt-cinq images. Cette boucle est ensuite diffusée, image par image, à la fréquence de vingt-cinq images par seconde. L’espace éphémère et fragmenté, sans cesse renouvelé, renvoie à un palimpseste visuel polysémique. Un palimpseste qui fait référence à notre mémoire collective télévisuelle.
Le spectateur hypnotisé s’habitue à cette succession de fragments en mouvement voire les attend et tente de les reconnaître. Mais cet effet recherché de rémanence n’empêche pas un effacement progressif de la configuration. Car chaque fragment additionné à la boucle est présent et répété jusqu’à ce qu’un autre le recouvre et ainsi de suite jusqu’à sa disparition et son oubli ; les nouveaux fragments invitant aussi le spectateur à se projeter progressivement dans une nouvelle narration, en lien avec la nature cinétique de la suite de l’émission. Le spectateur est ainsi principalement passif, mais il peut tout de même interférer avec le déroulement de l’œuvre. Une télécommande permet de faire varier les paramètres de transparence, ainsi que les différentes chaînes de télévision captées en direct lors de l’exposition.
Figure 68. SamplTV – Télécommande (80 x 20 x 20 cm), Galerie plug[in], Viper Festival, Bâle, Suisse
(BOILLOT, Nicolas, 2006)
Je noterai que j’ai réalisé une première version de SamplTV en 2003, dans le cadre de mon diplôme de fin d’études à l’école des beaux-arts d’Aix-en-Provence. Puis, j’ai poursuivi son développement (à la fois, d’un point de vue technique et théorique) en 2004, dans le cadre d’un diplôme d’études approfondies en arts numériques à l’école des beaux-arts de Poitiers et Angoulême et de l’université de Poitiers. SamplTV est ainsi une œuvre marquante de mon parcours. Et on verra qu’elle prépare les bases de l’installation vidéo Lambeaux réalisée en 2012 dans la partie de « création > recherche » qui concerne ce doctorat. J’y reviendrai à la fin du chapitre III.
2. Analyse méthodologique selon les repères de la grille méthodologique
INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
L’œuvre se cantonne-t-elle à une relation de création ou affirme-t-elle aussi une relation de médiation ?
Comme mes précédents travaux interactifs, SamplTV a été pensée comme une œuvre ouverte. Elle propose une expérience éphémère au spectateur, celle-ci dépendant du flux télévisuel diffusé à l’instant où le spectateur regarde l’installation vidéo. Cette œuvre est donc en perpétuelle évolution. C’est la première fois, que je crée un dispositif qui va utiliser un flux continu d’images. En revanche, comme dans les deux autres œuvres précédentes, je donne la possibilité aux spectateurs qui le souhaitent de perturber le processus et d’interagir avec l’œuvre. Et j’installe aussi ici une double relation de création et de médiation. Mais, le jeu du spectateur n’est pas obligatoire, l’œuvre existe et évolue même sans son intervention. La relation de médiation reste une proposition. Enfin, je remarquerai que la variabilité du flux télévisuel et surtout l’imprévisibilité des événements cinétiques captés par le dispositif induisent une certaine perte de contrôle, celle de l’auteur comme celle du spectateur. Ce qui accentue le caractère hypnotique de la lecture de l’œuvre et l’intention critique de l’œuvre, à savoir la mise en perspective critique de l’attractivité du martelage visuel médiatique.
INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
La « contrainte dite créatrice » est-elle en jeu ?
On a vu que le dispositif est basé sur l’application de règles strictes de sélection de certains échantillons visuels : les parties en mouvement des images du flux télévisuel capté au fur et à mesure de sa diffusion sur les ondes hertziennes. En effet, étant donné qu’à chaque instant, ce flux vidéo présente à la fois un fond d’image relativement inchangé et plusieurs zones modifiées par rapport à l’image de l’instant précédent, j’ai à ma disposition des éléments visuels qui sont strictement liés au changement du flux et aux parties en mouvement des objets, des personnages ou des éléments de la communication visuelle de l’image médiatique. Ces parties d’image en mouvement évoluant au cours du temps, leur extraction systématique permet d’obtenir une collection de fragments signifiant les changements actifs de la communication télévisuelle. Chaque fragment étant immédiatement réintroduit sur l’image suivante du flux, le spectateur assiste à la représentation d’une image composite faite de leurs empilements. Par ce procédé, je peux donc cibler en les isolant du « fond » les éléments mis en évidence par l’émetteur (la chaîne de télévision) pour attirer l’œil du spectateur. Mais je reporte aussi, de façon spatio-temporelle, tous ces éléments sur une bande « virtuelle », qui par analogie avec le principe du cinéma, va afficher les différents fragments apparaissant au cours du temps. Les éléments capturés sont ainsi transposés dans une temporalité différente et répétitive. Ils y acquièrent une durée dépendante du processus.
Figure 69. SamplTV – la boucle, le 10 mai 2003 à 19 h 41 (BOILLOT, Nicolas, 2003)
Et ce défilement, image par image, de la bande va restituer l’illusion du mouvement tout en exprimant une mise en exergue des éléments attractifs de la communication médiatique. La bande constituée de seulement vingt-cinq images (toujours par analogie avec le cinéma) est diffusée en boucle, si bien que le procédé reporte ces fragments sur d’autres déjà diffusés et ainsi de suite. On obtient une accumulation de mouvements, empilés les uns sur les autres qui met en visibilité la saturation des stimuli à laquelle le téléspectateur peut être soumis. Mais ce faisant, cela produit aussi un univers esthétique, dont l’étrangeté et les bribes de signifiants sollicitent, comme dans La lyre publicitaire, la lecture plus personnelle et créative du spectateur.
INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
Comment les nouvelles possibilités de diffusion numérique dans le temps et l’espace sont-elles exploitées ?
La monstration de SamplTV nécessite d’installer le logiciel applicatif dans un ordinateur et d’équiper celui-ci d’une antenne hertzienne ou satellite et d’une carte Tuner TV permettant de recevoir les chaînes des émissions de télévision en temps réel (rappelons que seul le captage en temps réel des flux télévisuels rend possible la réalisation d’une œuvre ouverte et éphémère). Un vidéoprojecteur et des haut-parleurs complètent le dispositif pour la projection sur grand écran dans une salle d’exposition. La diffusion de l’œuvre est donc liée à l’espace temps contraint d’un lieu physique de monstration, comme la salle d’exposition des écoles d’art d’Aix-en-Provence (2003) et de Poitiers (2004), puis dans celle de la galerie Plug[in] lors du festival d’art Viper Festival de Bâle en Suisse, en 2006. La diffusion renvoie donc plus ici à la monstration liée aux performances vidéo. Et comme dans mes précédentes œuvres, elle n’exploite pas encore les possibilités étendues qui viendront avec le développement de l’art numérique et du Net art, du fait de potentialités technologiques accrues. Ceci est une des raisons qui m’ont conduit à questionner à nouveau ce dispositif en créant Lambeaux dans le cadre de la phase de « création > recherche » de ce doctorat.
INDICATEUR
Quel est le niveau d’acculturation numérique de l’artiste ? (I.a.ii)
Quel niveau de langage de programmation est utilisé pour la création ?
Quel type d’intervention avec le logiciel applicatif ?
Le dispositif numérique de SamplTV nécessite plusieurs étapes de réalisation. La numérisation en temps réel du flux télévisuel nécessite du hardware, un tuner TV, et du software, le logiciel (Macromedia Director) permettant d’analyser le flux et sa possible réutilisation en direct. J’ai eu ainsi à définir des règles de programmation qui établissent les différents principes nécessaires de capture, d’accumulation et de diffusion.
Figure 70. SamplTV – Schéma d’installation (BOILLOT, Nicolas, 2003)
Cette œuvre finalisée, j’ai eu aussi la possibilité de consolider ce dispositif technique en 2004 grâce à l’opportunité offerte dans le cadre de mon diplôme d’études approfondies en art numérique de Poitiers. J’ai en effet pu compter sur un « personnel de renfort », l’aide d’un étudiant en génie informatique, Jonathan Mazal. J’ai défini avec lui un cahier des charges afin de pouvoir abandonner le logiciel propriétaire (Macromedia Director) et utiliser le logiciel de programmation graphique Eyesweb. Jonathan Mazal a ainsi encapsulé SamplTV dans un nouveau bloc d’Eyesweb, bloc que j’ai pu ensuite utiliser avec les autres éléments déjà présents dans le logiciel libre Eyesweb. Grâce à son aide, j’ai ainsi pu pérenniser la monstration de cette installation.
Figure 71. SamplTV – Bloc Eyesweb (MAZAL, Jonathan et BOILLOT, Nicolas, 2004)
INDICATEUR
Un espace de création dépendant de l’acculturation numérique des artistes (I.a.ii)
Quel caractère technologique et industriel de l’outil numérique ?
Une évolution rapide de la création du fait de l’exploitation des performances toujours grandissantes des ordinateurs
Comme explicité ci-dessus, il importe de remarquer que comme dans La lyre publicitaire et La mosaïque sonore, SamplTV est réalisable uniquement grâce aux possibilités offertes par le médium numérique. C’est ce passage numérique qui me permet d’analyser en temps réel les images issues du flux vidéo. Et on voit bien que l’évolution de mes œuvres suit la progression croissante des potentialités numériques. Pour SamplTV, le processus est, en effet, complexe. La définition des zones de capture fonctionne sur la comparaison de couleurs entre une image de référence et l’image diffusée. Au-delà d’un seuil, si la différence entre deux pixels est probante, le processus va considérer que la zone d’image est en mouvement. À partir de la règle définie, on a vu que sont sélectionnés et extraits, de manière automatique, une partie des fragments « en mouvement ». Ceci permet ensuite de proposer une configuration différente. Mais la complexité du traitement automatisé en temps réel du processus nécessite une puissance de calcul suffisante pour éviter tout décalage. Cela m’a fait à l’époque me confronter aux limitations de performance, de puissance de calcul de l’ordinateur utilisé. Et, à cause des contraintes techniques, j’ai été obligé d’astreindre SamplTV à analyser des zones rectangulaires d’images, plutôt que d’analyser chaque pixel. Ce qui donne au résultat final une image en mosaïque singulière. On verra par la suite avec Lambeaux, conçue huit ans plus tard que j’ai enfin pu poursuivre le développement du concept très intéressant de SamplTV grâce aux nouvelles potentialités technologiques actuelles.
INDICATEUR
Codage, traduction et copie : des principes fondateurs et reliés de la création numérique ? (I.a.iii)
Quel codage binaire ?
Quelle place, quel rôle de la copie numérique ?
L’apport du numérique m’a permis de créer un mode de représentation totalement inédit par rapport aux techniques traditionnelles de diffusion audiovisuelle de l’époque. Par sa digitalisation, l’image numérique peut être manipulée puisque réduite à l’état d’expression mathématique. Cette transition de l’analogique au numérique me permet de faire réagir l’image en fonction de règles et de déclencher des interactions initiées par des événements. Cette malléabilité liée au médium numérique permet de définir une sorte « d’œuvre ouverte »3) qui rend possible une multitude d’interprétations.
INDICATEUR
L’abondance : des médias de masse à Internet (I.b.i.)
Une cohabitation de deux types de diffusion, verticale et horizontale
L’abondance préexiste à l’ère numérique et le flux télévisuel en rend particulièrement compte, même si cette abondance sera amplement dépassée par l’infobésité générée par Internet. Je rappellerai que la saturation et la surinformation sont souvent des thèmes de prédilection des artistes, notamment comme ici via la critique des médias. Ceci renvoie aussi aux caractéristiques de la diffusion de l’information en général et de l’œuvre en particulier. Dans mon cas, une des caractéristiques de la télédiffusion (de cette époque) est qu’elle permet alors « à un public de masse de regarder simultanément un même objet temporel »4). Et que « La pensée se collectivise »5) et s’uniformise en fonction des choix et des non-choix faits par le téléspectateur, dans un temps donné. Ce type de pratique télévisuelle a considérablement changé aujourd’hui, avec les possibilités de la télévision à la demande. Mais à cette époque, c’est cette collectivisation de la pensée qui est au centre de ma réflexion. Et notamment, l’habituation et l’irréflexion adoptées face au déferlement d’informations délivrées par les diffuseurs télévisuels. SamplTV tente ainsi de perturber cette accoutumance négative et le dispositif génère, je l’ai constaté, deux postures différentes chez les spectateurs.
– Soit la personne est déjà habituée à regarder la télévision. Quand elle se retrouve face à face avec l’installation, elle est d’abord intriguée, puis captivée, à la limite de la fascination. Il faut un certain temps pour que viennent une mise à distance et une utilisation de l’interface mise à disposition pour sélectionner un autre canal dans le flux. – Soit, la personne n’a pas la télévision ou bien elle est réfractaire à celle-ci. Après quelques secondes devant l’installation se déclenche une phase de rejet voire de violence. Le flux, la quantité d’informations, de signes projetés à la seconde, sont trop importants apparemment pour être supportables. Il est probable d’ailleurs que cette sensation violente soit à déconseiller à toute personne épileptique.
Ces réactions semblent témoigner chacune à leur manière du bien-fondé du choix de mon propos. Mais elles mettent aussi en valeur que, dans SamplTV, la diffusion n’est pas horizontale comme elle pourra l’être avec des dispositifs plus réflexifs comme on le verra avec Plagiairc et .urler. Le spectateur ne peut pas « répondre » ici aux propositions du média télévisuel. Il peut juste changer le niveau de transparence des images générées par le dispositif ou plus simplement, changer de chaîne.
INDICATEUR
La notion d’auteur revisitée par les nouvelles technologies (I.b.ii.)
Le poids des « nouvelles technologies » dans ces mutations
La création de remix repose sur une transgression du droit d’auteur (I.b.iii)
Comme dans La lyre publicitaire, SamplTV s’appuie sur le travail d’autres auteurs. Ici, en extrayant des zones rectangulaires d’images diffusées dans un flux télévisuel, il peut être assez aisé de reconnaître d’où proviennent ces fragments. Ainsi, je garde une filiation nette avec les matériaux-sources du remix, retrouvant ici un des principes intrinsèques du remix. Mais le fait de convertir un flux d’informations issu d’un média télévisuel revient aussi à m’approprier des contenus qui sont protégés par le droit d’auteur. Et ce d’autant plus qu’ils sont liés ici à une sphère économique et politique qui nous l’avons vu, intervient fortement dans la fondation du droit d’auteur, notamment dans sa vision anglo-saxonne. SamplTV est donc susceptible d’enfreindre le droit d’auteur des producteurs des émissions, de leurs auteurs, de leurs présentateurs, des personnes exposées à l’image, etc. ; sauf à considérer que le flux n’est jamais enregistré et que le caractère éphémère par nature de SamplTV assure l’effacement en continu de ces captations. Je noterai tout de même que seules quelques images ont été captées pour me permettre de garder la trace de l’œuvre. Comme dans La lyre publicitaire, on retrouve ici, une double contrainte fréquente de l’auteur de remix. Car comment dénoncer les médias télévisuels sans les mettre en scène ? La posture subversive de l’art impose ce détournement et ce, d’autant plus dans le cas d’un remix. De plus, l’accessibilité des nouvelles techniques de numérisation et de programmation (y compris via leur évolution vers un logiciel open source) rend aisée cette transgression du droit. Si à cette époque, les pratiques du Web 2.0 n’ont pas encore banalisé ces détournements et posé encore plus de questions, la culture du partage est en marche au détriment de la culture de la propriété. La question de la transgression du droit d’auteur est, en tous cas, au cœur de ce travail, car, comme dans La lyre publicitaire (mais avec une moindre mesure), la reconnaissance d’un référentiel médiatique participe à la mise en question de l’univers médiatique du moment. Elle me touche d’ailleurs aussi en tant qu’artiste numérique, soumis par la spécificité même de mes œuvres, à la même perte de la maîtrise de la diffusion de mon travail et du droit d’auteur associé.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le médium numérique situe un « temps créateur », en lien notamment avec la notion d’interactivité
La notion de temporalité est centrale dans cette œuvre. En effet, je mets en parallèle des temporalités différentes : la temporalité normale et rapide du flux télévisuel et surtout de la narration de l’émission considérée ; la temporalité cumulative voire rétroactive des fragments en mouvement, réinterprétés et rejoués sans cesse par mon processus de création et de diffusion ; la temporalité ralentie, mais inéluctable de l’écoulement des images et des fragments superposés diffusés en boucle sur la bande de vingt-cinq images et rafraîchis au fil des limites de ce temps circulaire. On pourrait comparer ces temporalités à celles observées le long d’une rivière avec un moulin à eau. Cette rivière a un flux continuel (le flux télévisuel), mais elle est aussi composée de très petites particules d’eau (les images en mouvement), qui s’écoulent de manière unidirectionnelle. À la manière d’un moulin à eau, SamplTV va s’immiscer dans cet écoulement et l’utiliser pour créer la force d’inertie nécessaire pour faire tourner sa « roue ». Des fragments d’eau (les différents fragments d’images) vont être récupérés dans chaque compartiment de la roue (chaque espace-temps qui compose la boucle) et vont générer le mouvement de la roue (la composition visuelle de la boucle). Mais au bout d’un tour complet de la roue (les vingt-cinq images de la boucle), ces fragments d’eau vont se confronter à de nouvelles arrivées de fragments et être progressivement évacuées. Ce procédé produisant ainsi une sorte de mouvement perpétuel qui lui aussi participe de l’effet attractif et hypnotique attendu.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
L’intention de l’artiste crée les conditions d’action du spect’acteur
L’interactivité : suivant les possibilités d’intervention laissées au spectateur
On a vu que SamplTV se situe majoritairement dans le cadre d’une interaction passive, l’action n’est pas nécessaire au fonctionnement du dispositif. À partir de règles et de critères établis, le processus de création s’exécute de manière automatisée, en fonction du flux qu’il reçoit. Ainsi il est indépendant du spectateur et continue de fonctionner tant qu’il a de quoi se nourrir c’est-à-dire tant que la réception hertzienne de la chaîne télévisuelle est active et suffisamment de bonne qualité pour transmettre un flux d’images. Toutefois, on a vu que le spectateur a aussi la possibilité d’interférer, et ce, de plusieurs façons. Il peut changer de chaînes de télévision et donc, orienter le détournement critique vers une émission donnée voire un groupe de télévision donné. Ce faisant, la sélection d’un certain type d’émission va aussi conduire à soumettre la sélection du dispositif à un certain type d’images dépendantes du propos et de l’identité visuelle de l’émission. Le choix de la chaîne a donc un impact qualitatif et quantitatif sur l’image finale produite par SamplTV. Mais le spectateur peut aussi jouer avec l’effet de transparence en sélectionnant, grâce à une télécommande, un certain niveau d’opacité applicable à la diffusion des fragments d’images. S’il opte pour un degré d’opacité maximum, les fragments diffusés et accumulés effaceront, au bout d’un certain temps, toutes traces des fragments antérieurs sous-jacents. S’il choisit un degré d’opacité minimum, les fragments accumulés ne masqueront pas totalement les traces des fragments précédents. L’ensemble formera, après quelques minutes, une « bouillie de pixels » augmentant alors le degré de distanciation avec la source.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
La maîtrise du « temps compté »
L’œuvre revisitée par l’obsolescence
Comme déjà explicité précédemment, SamplTV a été développé en plusieurs étapes. Dans un premier temps, l’utilisation de Macromedia director, un logiciel propriétaire de programmation textuelle, m’a permis de créer une première version de cette installation vidéo. On a vu que mon diplôme d’études approfondies m’a donné ensuite des moyens techniques supplémentaires. J’ai décidé à cette occasion d’anticiper l’obsolescence possible liée à l’usage d’un logiciel propriétaire et de passer à un langage libre et gratuit (Eyesweb). Plus tard, je ne regretterai pas ce choix, car l’œuvre suivante .urler (2006), associée elle aussi à Macromedia director, a subi de plein fouet cette obsolescence.
INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le temps retrouvé grâce au Remix numérique
Comme dans La lyre publicitaire, SamplTV garde aujourd’hui encore les traces de la période dans laquelle elle a été produite. Il subsiste des images des remix obtenus grâce à des captures d’écran ou grâce à des vidéos enregistrées à l’époque. Celles-ci permettent de pérenniser les univers fragmentés des médias originels utilisés.
INDICATEUR
L’artiste comme collectionneur par l’intermédiaire d’Internet (I.c.iii)
Il est intéressant de noter que SamplTV fait partie des rares œuvres où je ne suis pas collectionneur. Les fragments sont capturés en temps réel par le dispositif et leur accumulation se limite au temps raccourci de la boucle.
INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
La définition du remix dépend du type et de la diversité de matériel source
La définition du remix dépend des pratiques de détournement
Le remix réflexif
Le remix se définit par le médium utilisé (ici numérique) et par ses matériaux sources (ici le flux télévisuel en temps réel). Sa définition dépend aussi du type de détournement. Le dispositif repose sur une pratique automatisée et généralisée d’échantillonnage d’un flux constant, qui me permet de classer SamplTV comme un remix réflexif. Mais il importe de relever que dans SamplTV, le collage de fragments successifs est soumis à une diffusion en boucle qui peut se rapprocher des pratiques de sampling dans le domaine musical. Par la mise en boucle, l’artiste crée un rythme. Ce rythme est composé de fragments, d’extraits de sons, qui, au contact les uns des autres, vont se mélanger, se répondre et créer un tout. Le caractère automatique et circulaire du remix visuel généré par SamplTV produit un sampling hyper saturé et scandé, dans lequel s’empilent de plus en plus de fragments, créant une œuvre vidéo éphémère, polysémique et dépendante du flux qui la nourrit. Le spectateur se retrouve confronté à une répétition hypnotique voire à une imprégnation quasi subliminale6) de ce qu’il lui arrive de percevoir dans cette accumulation automatisée.
INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
Le degré de distanciation avec l’original
Avec SamplTV, le passage au numérique permet d’expérimenter la notion de perception du mouvement dans un flux vidéo en remettant en question le rapport de vérité et de similitude et en poussant les limites de la représentation. La vidéo générée agit de deux façons selon le moment et les conditions de l’œuvre. Au départ, si le spectateur a défini un niveau d’opacité fort, la vidéo met bien en visibilité les éléments émergents du flux télévisuel. Cela renvoie à « des signes culturels partagés », ceci étant censé permettre « d’interroger plus efficacement la société », on l’a vu dans l’histoire du remix. En revanche, quand le dispositif a eu le temps d’accumuler un grand nombre de fragments et que le niveau d’opacité est faible, l’image est brouillée et la distanciation avec le matériau source et avec le sens de la communication télévisuelle est forte.
INDICATEUR
Le remix et les courants artistiques (II.a.ii)
La définition du remix dépend d’une intention
La définition du remix dépend d’une histoire de l’art (limitée ici au XXe siècle)
En visant spécifiquement le fonctionnement et le pouvoir d’attraction de la communication télévisuelle, SamplTV s’inscrit dans une des intentions les plus fréquentes des remix artistiques : la remise en cause radicale, que cela concerne les médias de masse, l’industrie cinématographique, la société de la consommation ou l’art. Si SamplTV a une relation assez classique avec l’objet référentiel, ici les médias, elle présente pour l’époque un niveau de détournement très complexe où la critique de l’image opère en la morcelant, en la confrontant par le principe de transparence, en la réduisant à une superposition de couches mobiles qui peu à peu s’effacent. Elle témoigne aussi de nouveaux contextes de réception qui contamine la lecture de l’image et provoquent sa réévaluation critique par le regardeur.
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