1. Présentation résumée de l’œuvre

Le slogan est, par son intonation, son rythme et sa concision, une phrase prégnante et manipulatrice. Il est à la base du matraquage publicitaire qui nous est imposé quotidiennement, notamment par le biais des médias télévisuels, et qui nous soumet aux injonctions de la société d’hyperconsommation. La lyre publicitaire1) dénonce, déjoue et se joue… Elle propose au spect’acteur et consommateur potentiels de se réapproprier la « prose » publicitaire de l’hyperconsommation.

Figure 62. La lyre publicitaire – Interaction, Aix-en-Provence, France (BOILLOT, Nicolas, 2003)

L’interface est composée de 6 cordes dorées, disposées en cercle et tendues du sol au plafond. La disposition des cordes rend explicite leur mode d’utilisation par le spect’acteur, mais aussi leur sens, la forme circulaire fait référence à l’idée de boucle, de répétitions infinies, en phase avec l’idée d’un matraquage publicitaire continuel. La couleur dorée cherche à attirer le spect’acteur et renvoie au côté mercantile et souvent clinquant des éléments publicitaires diffusés. Un haut-parleur disposé au plafond, au centre du cercle, diffuse un slogan chaque fois que l’intervenant pince une corde.

Figure 63. La lyre publicitaire – Installation, plafond et sol, Aix-en-Provence, France (BOILLOT, Nicolas, 2003)

Ces cordes peuvent émettre deux cent cinquante slogans préenregistrés de publicité télévisuelle, la sélection du slogan dépendant du moment où le joueur touche la corde. Le joueur les fait ainsi apparaître à volonté et provoque, selon son jeu, une polyphonie et/ou une cacophonie joyeusement iconoclaste. C’est l’accumulation des slogans qui crée de nouvelles relations entre les différents signifiants et déplace leur référent. L’intervenant prend ici le pouvoir sur ces éléments publicitaires et génère une nouvelle prose.

La lyre aux six cordes fait face à un accrochage : une représentation visuelle imprimée sur un support papier reprend les mots d’une séquence sonore que j’ai réalisée moi-même en interagissant avec la lyre. Le texte présente les slogans mis bout à bout et à l’horizontale pour mettre en visibilité la temporalité de la sélection et pour évoquer graphiquement les contours modulés d’une onde sonore. La partition textuelle obtenue contient ainsi un millier de slogans imprimés sur une feuille de papier de cinq mètres de long. Mon intention ici est de co-participer avec le spectateur au détournement, mais aussi de faire référence à l’œuvre Cent mille milliards de poèmes2) de Raymond Queneau, affirmant ainsi mon inclinaison pour le courant des remix, ici textuels.

Figure 64. La lyre publicitaire – Extrait de la partition, agencement de 1000 slogans générés (BOILLOT, Nicolas, 2003)

Au final, l’installation n’est pas un remix sonore et textuel, mais une disposition en miroir d’un remix sonore potentiel (obtenu par interaction avec les cordes de la lyre) et d’un remix textuel (la représentation visuelle des recombinaisons des slogans obtenus par mon propre jeu).

2. Analyse méthodologique selon les repères de la grille méthodologique

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
L’œuvre se cantonne-t-elle à une relation de création ou affirme-t-elle aussi une relation de médiation ? (I.a.i)

Si on reprend les indicateurs de la grille méthodologique, on peut commencer par remarquer que La lyre publicitaire est conçue comme une relation classique de création. On peut la considérer, en effet, comme une sculpture, composée de six cordes, mise en espace et en scène. Ce rapport à une œuvre tangible et achevée marque surtout le début de mon travail, on l’a vu aussi avec l’œuvre L’espace réinitialisable faite deux ans plus tôt. En revanche, cette œuvre fait partie de mon Diplôme de fin d’études d’École des Beaux-Arts d’Aix-En-Provence, une des seules écoles de cette période à s’ouvrir véritablement à l’art numérique. Ce qui a constitué pour moi un terrain favorable pour que cette œuvre soit à la fois tangible (les cordes, l’exposition murale) et intangible (le potentiel de combinaisons sonores qui n’existent que par le jeu du spect’acteur) ; et pour qu’elle soit pensée en relation avec le spect’acteur, positionnant aussi l’œuvre dans une relation de médiation exploitant ainsi les potentialités du médium numérique. Cette œuvre est aussi achevée si on s’attache à l’exposition du remix textuel ou encore au dispositif d’interaction dont les règles sont fixées une fois pour toutes et contrainte par une programmation déterminée. En revanche, le remix sonore permet aussi de l’identifier comme une œuvre ouverte dans la mesure où son expression sonore dépend du jeu des spect’acteurs, ce qui ouvre à des compositions inconnues à l’avance et sans cesse renouvelées.

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
La « contrainte dite créatrice » est-elle en jeu ?
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
L’intention de l’artiste crée les conditions d’action du spect’acteur

En apparence, l’interaction des spect’acteurs est libre. Ceux-ci peuvent déclencher et interagir avec l’œuvre et produire une litanie publicitaire à leur guise. Celle-ci semble résulter d’une part de hasard, car il est impossible pour l’utilisateur de repérer la place d’un slogan particulier. Ce qui donne d’ailleurs un résultat absurde et sarcastique et renforce mon intention critique et l’inscription de l’œuvre dans un remix. En réalité, ce dispositif résulte des règles fortes que je lui ai imposées en amont. J’ai réparti les différents slogans sur les six cordes et ceux-ci apparaissent aléatoirement à chacun de leur mouvement. Ce jeu aléatoire est en partie contraint, car j’ai classifié les slogans en trois catégories et placé chacune des trois catégories sur deux cordes sur six. Ces jeux de deux cordes se distinguent chacun par l’attribution respective de slogans descriptifs (qui décrivent le produit), ou de slogans assertifs (qui énoncent une vérité fondamentale) ou d’autres (qui ne correspondent à aucune de ces deux catégories). L’œuvre dépend donc des contraintes imaginées pour servir mon intention artistique, même si sa réalisation sonore dépend aussi du choix du spect’acteur.

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
Comment les nouvelles possibilités de diffusion numérique dans le temps et l’espace sont-elles exploitées ?

Le temps et l’espace sont très délimités dans cette œuvre. Ceci est peu représentatif de la fluidité qui marquera par la suite les spécificités du médium numérique. En effet, on remarque ici :

  • un temps et un lieu instantanés : le temps instantané de l’exposition d’une œuvre, somme toute performative dans sa composante sonore, puisqu’elle existe uniquement dans le temps de l’interaction avec le public ; le lieu délimité d’exposition qui est l’école des beaux-arts d’Aix-en-Provence, ce travail étant présenté dans le cadre de mon diplôme de cinquième année.
  • Et un temps et un lieu passés : le temps (antérieur à la mise en place de l’installation) et le lieu (l’atelier de l’artiste) de la composition de ma propre prose publicitaire destinée à produire la partition textuelle exposée en face de l’installation sonore.

INDICATEUR
Une nouvelle relation au médium (I.a.i)
Comment s’exprime la notion de « public initié » liée à l’art contemporain ?

On constate ici que l’œuvre s’efface au profit de l’interaction avec les spect’acteurs et des expériences et compositions ainsi générées. La familiarité avec l’instrument « lyre » et la simplification de son usage par un simple toucher invitent aisément le spect’acteur à participer à l’œuvre. De même, le choix du registre publicitaire assorti d’une mise en scène évocatrice (la couleur dorée « mercantile » des cordes) renvoie volontairement à l’univers familier de la consommation. Enfin, l’exposition de la retranscription visuelle de la série de slogans choisis par l’artiste place celui-ci en tant que co-utilisateur et réduit d’autant l’image élitiste de la figure de l’artiste. La lyre publicitaire s’adresse donc explicitement à un public non initié. Ceci dit, l’ombre de la contrainte imposée par mon intention artistique subsiste. On vient de voir que l’utilisateur ne peut pas tout déterminer, notamment qu’il ne peut pas contrôler une série précise de slogans.

INDICATEUR
Un espace de création dépendant de l’acculturation numérique des artistes (I.a.ii)
Quel est le niveau d’acculturation numérique de l’artiste ?

Dans cette œuvre, il est intéressant de relever que j’ai alterné la position d’artiste-expert (celui qui conçoit le dispositif numérique) et celle d’artiste-utilisateur (celui qui joue de la lyre à l’instar du public, puis qui édite la partition de sa composition). Le montage du dispositif de l’œuvre était relativement complexe pour moi à cette époque. J’ai pu mettre en œuvre une partie de la programmation, mais j’ai dû aussi faire appel à ce personnel dit « de renfort » qui est décrit dans le champ de l’art numérique.

Figure 65. La lyre publicitaire – Croquis préparatoire (BOILLOT, Nicolas, 2003)

Des personnels techniques de l’école d’art m’ont ainsi aidé à créer toute la partie électronique de l’œuvre et à installer la structure dans la salle d’exposition. J’ai notamment délégué la création des circuits imprimés qui permettent de faire le lien entre des capteurs piézocéramiques situés sur chaque corde et le programme informatique qui va interagir avec les informations relayées par les capteurs. Avec leur aide, j’ai aussi pu associer le médium numérique avec le bois, les capteurs, les cordes métalliques et tout ou partie de la lyre.

Par contre, j’ai été autonome quant à la programmation, on le verra, et ce, avec l’aide d’Eyesweb, un logiciel libre et gratuit, créé en 1999 par le Laboratoire d’Informatique Musicale de l’Université de Gènes en Italie.

Figure 66. La lyre publicitaire – Installation et programme Eyesweb (BOILLOT, Nicolas, 2003)

Eyesweb permet de créer, entre autres choses, des environnements sonores interactifs. On a vu combien l’évolution des pratiques numériques repose sur le recours à de tels logiciels facilement accessibles qui permettent aux utilisateurs, et à l’artiste en particulier de s’affranchir en partie des contraintes de technologies hautement spécialisées. Mon travail en témoigne. Mais je soulignerai aussi que cela nécessite aussi une culture du réseau et du partage. J’ai d’ailleurs contribué en retour au développement de ce logiciel, à distance et en présentiel, lors d’un séminaire organisé par le laboratoire italien en 2006. J’ai aussi créé en 2005, avec Rudy Morin, Eyesweb symposia3), un forum Web destiné à favoriser les échanges autour de ce logiciel. Cela me permet de relever que l’acculturation de l’artiste numérique passe à la fois par l’appréhension d’une culture technique et d’une culture du partage et de la coproduction. On notera d’ailleurs la progression du niveau technique exigé entre La mosaïque sonore et La lyre publicitaire. Cette progression sera d’ailleurs un des fils rouges de la généalogie de l’ensemble de mon travail.

Enfin, pour revenir à La lyre publicitaire, je soulignerai la simplicité des procédés de captation des slogans sources que j’ai dû réaliser en amont du dispositif. J’ai utilisé un tuner télévisuel pour récupérer la bande-son de différentes chaînes de télévision directement dans l’ordinateur. Mais je voudrais relever combien ce moment de captation était long, rigoureux et fastidieux, ceci déterminant aussi une époque. Car le développement de l’art « par, pour, avec Internet » facilitera plus tard le travail de l’artiste, et notamment le mien, et démultipliera les potentialités de captation et de création.

INDICATEUR
Un espace de création dépendant de l’acculturation numérique des artistes (I.a.ii)
Quel type d’intervention avec le logiciel applicatif ?
Quel niveau de langage de programmation est utilisé pour la création ?

J’ai utilisé pour ce travail différentes strates de l’ordinateur. D’une part, la partie matérielle, comprenant toutes les parties électroniques évoquées plus tôt et d’autre part, la partie logicielle, avec l’utilisation du logiciel Eyesweb, pour réaliser le programme diffusant les slogans en fonction de l’interaction du spect’acteur avec la lyre. Eyesweb a été capable de manipuler mes données sources, soient les 250 slogans publicitaires que j’ai choisis au préalable à partir de mes enregistrements des bandes sonores des publicités à la télévision.

INDICATEUR
Codage, traduction et copie : des principes fondateurs et reliés de la création numérique ? (I.a.iii)
Quel codage binaire ?

Le codage numérique permet l’unification des données non numériques. Dans La lyre publicitaire, le codage des données sources sonores donne lieu à des fichiers .wav que je renomme avec le texte du slogan d’origine. Chacun des noms de fichier constitue un corpus textuel qui sera à la base de la création de la partition.

INDICATEUR
Les effets d’une diffusion des flux d’information à une large échelle par l’intermédiaire du Web (I.b.i)
L’abondance à l’ère numérique : un phénomène préexistant en mutation
Une cohabitation de deux types de diffusion, verticale et horizontale

L’abondance est au cœur de La lyre publicitaire, car mon intention est de mettre en valeur la saturation d’informations produites par les publicités imposées par la diffusion verticale des médias de masse. Et de dénoncer leur pénétration généralisée au cœur de notre quotidien via les postes de télévision. Bien sûr, cette abondance sera bientôt d’un tout autre niveau sur Internet. On le verra avec certaines de mes œuvres postérieures. Mais ici on retrouve l’intérêt d’une grande variété d’artistes pour le quotidien et la critique des mass médias, dans l’histoire de l’art et celle du remix artistique et politique. Si on suit les indicateurs de cette partie, on voit aussi que La lyre publicitaire relève plus d’une « diffusion » que d’une « communication », car aucun échange ne peut s’engager ici entre les cibles et les mass médias. Par ailleurs, si mon intention est de questionner la diffusion verticale des mass médias et des lobbies économiques, je vise en retour à tenter de rétablir une diffusion horizontale en invitant l’utilisateur de la Lyre à se réapproprier les fragments publicitaires pour créer une prose personnelle. Ceci dit, la diffusion horizontale reste relative, car l’interaction reste encadrée ici par un dispositif aux règles très fortes. Ce cadre défini joint à la taille de la collection de slogans à disposition fait que le potentiel de combinaisons possibles est à la fois riche et immuable, chaque spect’acteur ayant à sa disposition la même potentialité, quel que soit le choix des différents spect’acteurs antérieurs. On retrouve ici les qualités classiques d’une œuvre numérique à « immanence plurielle ».

INDICATEUR
La notion d’auteur revisitée par les nouvelles technologies (I.b.ii.)
La création numérique et la transgression du droit d’auteur (I.b.iii.)

L’espace réinitialisable et La mosaïque sonore procédaient du détournement de matériaux libre de droits d’auteur (en tous cas pour moi). La question de la transgression du droit d’auteur n’était donc pas posée. La lyre publicitaire entame une longue série d’œuvres directement liées à la question du droit d’auteur. Je rappellerai que la transgression du droit d’auteur est au cœur des principes du remix qu’il soit numérique ou non. Le remix artistique est basé sur le détournement de matériaux sources qui appartiennent souvent à d’autres ; surtout quand l’œuvre a une intention critique, comme dans La lyre publicitaire, intrinsèquement liée au détournement des slogans publicitaires, symbole d’une reprise de pouvoir sur la société de l’hyperconsommation. Le remix artistique en général est aussi lié au pouvoir référentiel de ses éléments textuels, visuels ou/et sonores ; c’est la reconnaissance du matériau source, même perturbée par sa fragmentation, qui participe à l’intention du remix. De fait, dans La lyre publicitaire, l’œuvre nécessite au départ la reconnaissance des fragments signifiants des slogans. Pourtant ceux-ci n’existent que par bribes et ils ont été soigneusement débarrassés de leur référence explicite à des marques. Mais le matraquage publicitaire fait que ces morceaux de phrases sont irrémédiablement associés avec le produit et la marque (par exemple, l’énoncé « chaque jour, c’est du bonheur à tartiner » renvoie à Nutella alors qu’aucune mention ne fait ici référence au produit ou à la marque). Et c’est bien cela que vise à dénoncer La lyre publicitaire et qui fonde l’adhésion et la participation du public à l’œuvre. Pour certains auteurs, cette question de la reconnaissance du matériau source définit même les limites du remix, pour qui l’œuvre n’est plus un remix si elle en perd la trace. On verra que cette question fait débat. Et que l’hypersphère (pas encore convoquée dans ce travail) en donnera une lecture singulière. Mais en attendant, on voit bien que la transgression du droit d’auteur est au cœur des pratiques de remix et qu’elle place l’artiste dans une situation délicate. Notamment dans les cas, où comme ici le droit d’auteur est associé à des enjeux économiques puissants.

INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
L’œuvre fragilisée par l’obsolescence

Comme toute œuvre numérique, La lyre publicitaire est fragilisée par l’obsolescence engendrée par l’évolution des technologies. Notamment en ce qui concerne la partie hardware qui s’est altérée au cours du temps ; les protocoles de communication ont évolué et ont rendu obsolète le matériel électronique utilisé à l’époque. En ce qui concerne la partie software, j’ai utilisé un logiciel libre ; ce qui me permet toujours aujourd’hui d’utiliser le patch (dénomination d’un programme réalisé par l’intermédiaire d’Eyesweb) de l’époque pour faire fonctionner l’œuvre (à condition de recréer la partie hardware).

INDICATEUR
L’œuvre numérique : un nouveau rapport au temps (I.c.ii)
Le temps retrouvé grâce au remix numérique

Si je rejoue aujourd’hui cette performance, je contribue indirectement à remettre en scène des échantillons de slogans de publicité aujourd’hui tombés dans l’oubli et à rendre compte de l’univers publicitaire et télévisuel de 2003. Ceci renvoie à une des caractéristiques des remix numériques : cette capacité de pérenniser des fragments et des objets sources relatifs à la période à laquelle ils ont été extraits.

INDICATEUR
L’artiste collectionneur par l’intermédiaire d’Internet (I.c.iii)

La lyre publicitaire n’a pas de lien avec Internet, et ce, de la captation des sources à la monstration et à l’interaction avec les spect’acteurs. Il est intéressant de souligner que je me retrouve malgré tout, encore dans la posture de l’artiste collectionneur. Car le principe de collection est à la base de cette création. Il a fallu que je réalise un enregistrement méthodique de publicités à partir du son du poste de la télévision, puis que je catégorise 250 slogans selon leurs qualités assertive, descriptive et autre, puis que je les archive selon un agencement spécialement étudié pour assurer la diversité de composition des spect’acteurs. Je remarquerai encore une fois ici combien Internet facilitera plus tard le travail du collectionneur.

INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
La définition du remix dépend du médium utilisé et du type et de la diversité de matériel source
La définition du remix dépend du type de détournement

Le remix sélectif - Le remix réflexif

Si on reprend les indicateurs qui définissent le remix, on voit ici que le médium n’est pas limité à un médium numérique, notamment du fait de l’installation de la lyre et de l’accrochage du remix textuel. Et que le matériau source est constitué de sons publicitaires issus des médias de masse. Du point de vue du type de détournement, La lyre publicitaire renvoie à un remix réflexif. En effet, la confrontation des fragments met en lumière la technique de sampling sous-tendue (chaque fragment correspondant à un échantillon). Comme dans les exemples donnés dans le remix sonore et plus particulièrement l’œuvre d’Erik Bünger4), on compose ici un discours par fragments interposés. On exploite la mémoire collective et on utilise le principe référentiel du remix. Même si cette mémoire, comme dans le cas de l’œuvre d’Erik Bünger, s’efface au cours des années par le renouvellement des publicités et des slogans. Cela peut conduire à une polyphonie voire une cacophonie. L’accumulation crée de nouvelles relations entre les différents signifiants et déplace le référent. La référence à la source originelle, - le sens du slogan-, n’est plus reconnaissable et l’œuvre et le spect’acteur déjouent alors la fonction initiale d’endoctrinement du slogan.

INDICATEUR
Les définitions du remix artistique, premier repérage (II.a.i)
Le degré de distanciation avec l’original

Une des originalités de cette œuvre est de jouer avec la distanciation avec l’original. On a vu que, dans un premier temps, tout est fait pour construire une faible distanciation avec l’œuvre originale. Le remix est allégorique, car c’est la référence à une mémoire collective qui produit le sens de l’œuvre et la mise en perspective critique des effets du matraquage publicitaire de la société de consommation. Il s’agit de faire émerger des idéologies et des stéréotypes. Puis dans un deuxième temps, l’œuvre cherche à produire une distanciation maximale par un complet brouillage des caractères référentiels. Cette rupture de lien avec la source originale renversant les rapports de force entre publicitaire et récepteur.

INDICATEUR
Le remix et les courants artistiques (II.a.ii)

Du point de vue de l’histoire de l’art, on voit que La lyre publicitaire s’inscrit bien dans celle des remix artistiques qui relèvent en général d’une intention, souvent associée à « une remise en cause radicale, que cela concerne les médias de masse, l’industrie cinématographique, la société de la consommation ou l’art ». On retrouve aussi dans cette œuvre la complexité des détournements des remix, basés notamment sur l’assemblage d’éléments fragmentés et sur l’utilisation du hasard (de l’apparition des slogans) et de l’incohérence (le sens souvent absurde des bribes de slogans mises bout à bout).

INDICATEUR
Les formes de remix : une création artistique sans cesse renouvelée (II.b)
Le remix sonore (II.b.i)
Le remix textuel (II.b.ii)

La lyre publicitaire est constituée d’un remix sonore et d’un remix textuel. Le remix sonore a marqué l’histoire du remix. Il témoigne de « la progression du détournement et des techniques : depuis les simples opérations d’amplification ou de découpe d’une même source, avec ajouts d’effets, aux agencements plus complexes avec, par exemple, la technique du sampling ». La lyre publicitaire est représentative de cette technique du sampling comme aussi d’une autre pratique, le méta instrument déjà abordé dans le cas de La mosaïque sonore. Le méta instrument est défini comme « un dispositif technique permettant à l’utilisateur d’enregistrer et d’archiver des sons quotidiens puis de les remixer selon une combinaison infinie d’agencements ». Dans La lyre publicitaire, cela correspond bien au travail amont de « l’artiste utilisateur », à la base du dispositif de l’œuvre. Quant au remix textuel, on peut constater que l’œuvre reste encore cantonnée aux caractéristiques du remix non numérique. On retrouve ici le principe combinatoire cher aux écritures sous contraintes créatives. Mais il sera considérablement amplifié avec l’usage du réseau numérique qui favorisera le principe de collection, la diversité des contraintes créatrices et la mise en jeu de la question de l’auctorialité. On le verra avec les œuvres suivantes.


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Article précédent : i.L’espace réinitialisable et La mosaïque sonore

1)
BOILLOT, Nicolas. La lyre publicitaire / The advertising lyre [en ligne]. 2003. [Consulté le 24 mai 2016]. Disponible à l’adresse : https://www.fluate.net/travaux/lyre_publicitaire/.
2)
QUENEAU, Raymond. Cent mille milliards de poèmes. Paris : Gallimard, 7 juillet 1961. ISBN 978-2-07-010467-3.
3)
BOILLOT, Nicolas et MORIN, Rudy. EyesWeb symposia - Resource and help for EyesWeb users and developers [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 24 mai 2016]. Disponible à l’adresse : http://wayback.archive.org/web/20160307025359/http://eyw.free.fr/.
4)
BÜNGER, Erik. Let them sing it for you [en ligne]. 2003. [Consulté le 10 juin 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.erikbunger.com/html/let_them_sing.html.