Je m’intéresserai au remix politique à partir du début de l’ère du cinéma, lorsque des réalisateurs de films, des artistes, des activistes et des créateurs de contenu en général, rééditent et détournent des créations audiovisuelles (films, émissions de télévision, etc.) dans un but politique ou sociocritique. Cette forme subversive de remix est référencée sous plusieurs termes tels que les films d’avant garde, l’art de l’appropriation, le détournement, le found footage, le media jamming, le remix politique1).

On peut aussi facilement retracer les prémisses de ce sous-genre de remix dans la tradition d’actions réalisées par des personnes ou groupes d’extrême gauche, ayant une tendance à lutter contre l’autorité établie ou la communication de masse. Quelle que soit leur origine, ces œuvres transformatives remettent en question les notions de pouvoir politique, de pouvoir des médias et des corporations. Elles s’intéressent plus particulièrement à mettre en valeur des questions pour la plupart ignorées par les organes officiels de communication telle que celles ayant trait à l’intime de l’être humain (par exemple, la sexualité) ou plus globalement, celles qui offrent une vision critique sociétale et politique (par exemple, certains conflits armés). Mais l’histoire du remix en général, et du remix politique en particulier, est aussi étroitement liée aux technologies « avant-gardistes » de chaque époque et à leurs potentialités communicationnelles et artistiques. On relèvera à présent cette histoire dans les pas des différents auteurs de remix qui l’ont jalonnée. On verra d’abord que le cinéma puis ses formes associées ont imprimé un premier mouvement, aux formes bien délimitées. Puis on relèvera combien la technologie numérique et Internet ont (re)donné un élan notable à ce détournement et à ce mode d’expression sociocritique. Enfin, ce panorama chronologique des remix politiques non numériques puis numériques visera à me fournir les indicateurs utiles au décryptage des enjeux et intentions sociétaux du remix, objet de mon analyse finale.

On peut retracer les débuts du remix politique dès les années qui ont suivi la révolution russe de 1917, période dans laquelle des réalisateurs de films et des activistes comme Esfir Shub2) ou Viktor Shklovsky réutilisèrent des extraits de films américains d’Hollywood à des fins de propagande. Par de nouveaux montages, ils mirent en scène une vision idéologique, plus appropriée à la doctrine inculquée par la révolution russe, en opposition à la vision capitaliste des films américains. Par la suite, dans la lignée des films soviétiques révolutionnaires des années 1920, un groupe d’activistes d’extrême gauche, le Prometheus Film Collective3) fait son apparition entre les années 1926-1932. On y retrouve notamment des précurseurs des pratiques de remix comme John Heartfield, Heinrich Zille, Georg Grosz. Ils mettent en scène une critique radicale de la société à travers de nouvelles formes expérimentales. Dans la lignée des réalisateurs russes, le collectif Prometheus, sur la base d’une esthétique marxiste reposant sur la synthèse dialectique entre réalités historiques et fiction, essaie de formuler une réalité objective de l’histoire et de mettre en avant le potentiel d’une construction socialiste de la réalité. Ils utilisèrent par le montage des éléments de films réels de sorte à « ce qu’ils perdent leur innocence d’un point de vue politique, et assument leur caractère inflammatoire ».4) Une de leur réalisation la plus célèbre étant Mutter Krausens Fahrt ins Glück5) : un film muet qui décrit la pauvreté d’une famille, habitant en Allemagne et plus particulièrement à Berlin ; la famille étant sauvée par le Communisme6). Je soulignerai ici l’intéressante notion de perte d’innocence très proche de celle de perte de/du sens (premier) de l’œuvre originelle. Ou encore, la notion de caractère inflammatoire qui, au vu du caractère hypnotique et répétitif des remix en général, constitue aussi une façon précise d’identifier les types de remix.

En 1941, Charles A. Ridley7) crée un des premiers remix viraux. Il réédite alors des extraits du film de propagande nazie réalisé par Leni Riefenstahl en 1935, Le Triomphe de la volonté8). Par un nouveau montage, il fait en sorte que les protagonistes du film (des militaires défilant au pas cadencé et Adolf Hitler donnant un discours) soient synchronisés avec la musique The Lambeth Walk9), de sorte à donner l’impression qu’ils dansent sur cette musique populaire, décrédibilisant le caractère solennel de ce type de défilé.

En France, on peut situer un des premiers remix politiques dans les années 1970 avec le réalisateur René Viénet. Un temps, membre de la mouvance situationniste initiée par Guy Debord en 1957, René Viénet utilisa dans les années 1970 des films de propagande maoïste ainsi que des films de Kung-Fu pour critiquer le totalitarisme chinois de l’époque. Dans La dialectique peut-elle casser des briques ?10) réalisé en 1973, le réalisateur par un postdoublage détourne un film chinois intitulé Crush relatant la lutte entre Coréens et Japonais sur fond de taekwondo et de karaté.

Par ce nouveau doublage, ne suivant plus le script originel, les personnages du film expriment des idées empruntées à des mouvements révolutionnaires anticapitalistes, au mouvement situationniste, sur des thèmes portant plus particulièrement sur la lutte des classes. Dans Chinois, encore un effort pour être révolutionnaires11), Viénet diversifie les sources qu’il va remixer pour créer un documentaire politique critique à l’égard de l’héritage du Maoïsme en Chine. Le commentaire du film, qui sert de liant entre les différentes parties étant issues d’un texte de deux dissidents chinois critiquant la révolution culturelle chinoise 12).

Figure 29. La dialectique peut-elle casser des briques ? (VIENET, René, 1973)

À partir des années 1980, le nombre de remix politique s’accélère avec la popularisation du magnétoscope, une des premières technologies abordables permettant d’enregistrer facilement des extraits de télévision, de vidéo sur une bande magnétique réutilisable. On retrouve aussi ici l’évolution du remix étroitement associée à l’évolution des technologies liées à la création visuelle animée. Dès lors, des artistes vidéo et des activistes vidéastes s’approprient des extraits d’informations télévisuelles, des émissions de variétés, des films d’Hollywood pour porter un regard critique sur la politique et les problèmes de société qu’ils vivent dans leur quotidien. Et cette composante critique, voire satirique, constitue dès à présent un indicateur important pour mon cadre d’analyse.

Dans Apocalypse Pooh13), l’artiste Todd Graham utilise des extraits du dessin animé de Walt Disney Winnie l’ourson et la bande-son du film de Francis Ford Coppola Apocalypse Now. Il transpose chaque personnage du dessin animé en un personnage de ce film de guerre. L’univers aseptisé du dessin animé devient, uniquement grâce à cette nouvelle bande-son une zone de guerre où les personnages de Winnie, Porcinet et les autres luttent pour garder leur santé mentale. Todd Graham explique que pour comprendre cette satire, « le spectateur doit au préalable connaître les deux sources originales qu’il a utilisées »14). Le décalage entre ces deux univers vient renforcer le malaise induit par ce film de guerre et crée une certaine empathie pour ces personnages animés issus de l’enfance déclamant des paroles à la limite de la folie15). Je noterai, au passage, que comme souvent, la reconnaissance de l’œuvre originelle est clairement revendiquée renvoyant à la définition du remix par Navas, mais aussi à son corollaire : une transgression assumée du droit d’auteur.

Dans The Reagans Speak Out of Drugs 16), Cliff Roth utilise deux magnétoscopes pour détourner un message politique. Le couple Reagan, à la tête des États-Unis d’Amérique, fait une allocution télévisuelle pour déclarer la guerre contre les drogues. En recombinant certains mots, certains fragments de phrase, Cliff Roth renverse complètement leur propos. Désormais, en plus de faire l’apologie de la drogue, ils déclarent être des consommateurs réguliers. Ces propos humoristiques visent à désamorcer cette politique de la peur initiée par cette « guerre » contre la drogue. « Une politique qui a abouti à l’incarcération de milliers de simples usagers »17). Le caractère humoristique vient renforcer l’impact chez le spectateur et surtout crée un phénomène de viralité par rapport à la diffusion confidentielle de ce type de contenu.

Dans les années 1990, les réflexions autour d’un développement soutenable se concrétisent. Elles ont pour principale origine la question des ressources non renouvelables, et avec elle, le problème de nos besoins en énergie fossile. Avec la guerre en Iraq qui débute en 1991, l’artiste Phil Patikis s’illustre dans un remix politique caractéristique. Il décide de critiquer les lobbies énergétiques, ainsi que l’armée américaine à l’origine de cette guerre. Dans un film intitulé The Iraq Campaign 1991 : a television history,18) il s’approprie des publicités de General Electrics, des extraits de journal télévisé illustrant la guerre en Iraq ainsi que de la série télévisuelle de science-fiction Star Trek : The next generation. Par le montage et par la surimposition des marques sur des images de destruction et de marée noire sur le complexe militaro-industriel, il veut mettre en lumière les véritables raisons qui ont poussé les États-Unis à envahir l’Iraq, c’est-à-dire notre dépendance au pétrole. Il dénonce aussi la société occidentale d’hyper consommation et la manipulation orchestrée par les industries d’après-guerre. Le marketing et la publicité sont clairement visés. La question de l’équité sociale et celle du genre sont elles aussi mises en avant. Il n’est donc pas étonnant de retrouver ici la technique du remix pour dénoncer cette consommation à outrance ainsi que les préjugés sociaux sous-tendus par certains types de produits. Dans le même domaine, le groupe Barbie Liberation Organization19)prend comme sujet de critique des publicités destinées aux enfants, qui impliquent pour les garçons et les filles de se conforter à un stéréotype. L’artiste Bryan Joyce (Dangerous Squid) issu de ce groupe va créer en 1994 And Now a Word from Our Sponsor 20). Cette œuvre vidéo constitue un mélange de médias, un mixte d’extrait de publicités relatives à deux jouets typiquement destinés aux filles et aux garçons. Il inclut dans une publicité télévisuelle pour Barbie des extraits de la bande sonore de jouets GI-Joe. La poupée devient ainsi capable d’après cette nouvelle trame sonore de lancer des missiles, d’avoir des attributs offensifs et virils. Cette interrelation des genres dans la description visuelle et sonore des jouets permet de créer une distance critique par rapport au stéréotype qu’a attribué le marketing de la compagnie à ces jouets pour enfant.

Dans le même esprit, dans les années 2000, l’artiste Paul Harvey Oswald du collectif Mass média manipulation va avec Bless Your Car with Love 21) créé un montage constitué d’extraits de film, de reportages et de publicités consacrés aux voitures et plus particulièrement aux accidents de voiture. Il met en parallèle ces accidents avec des images idylliques de publicité montrant des acteurs magnifiant l’usage des produits automobiles. Le tout rythmé par une bande-son mélangeant musique énergique et slogan idyllique mise en boucle Bless Your Car with Love. Ici contrairement à ce qui précède, le propos est construit à partir d’une multitude de sources. Que ce soit des films ou des publicités, toutes ces sources vont se répondre, se confronter, s’additionner pour provoquer, via une diatribe ironique, le rêve et l’effroi que peuvent engendrer les véhicules à moteur et la culture de la voiture.

Mais dans les années 2000, la dénonciation du discours ou du personnage politique reste la base du remix critique. À partir de 2001, l’artiste Johan Söderberg crée la série Read My Lips22). Il utilise des extraits de journaux télévisés, sélectionnant des interviews de dirigeants nationaux. Par un subtil et minutieux montage, il parvient à créer l’illusion d’un lipsync (technique qui consiste à synchroniser les lèvres d’un personnage sur des paroles dites par un autre personnage). Dans ce montage final, il transforme les dirigeants politiques en chanteur de musique populaire. Il crée par ce mélange des genres, une critique acerbe de ces personnages et de la politique qu’ils incarnent.

Une autre forme de remix, le supercut est aussi employé pour mettre en lumière des techniques de manipulation utilisées par le monde politique. Le supercut consiste à extraire et accumuler des mots, des phrases similaires pour ensuite par l’accumulation des ces éléments de langage semblables montrer la répétition d’un message, d’une idée martelée par différents orateurs. C’est une technique de manipulation classique qui permet d’ancrer dans l’esprit des spectateurs une contre-vérité, uniquement par la répétition d’un même message. Dans Keeping America Scared23) Brenana Houlikan utilise cette technique pour révéler la stratégie de gouvernance par la peur infusée durant le congrès républicain américain des élections américaines de 2004. Il réduit et sélectionne dans chaque discours des orateurs les mots spécifiques placés dans leur discours permettant de déclencher la peur parmi l’audience. On assiste à une litanie des mots « terreurs », « Sadam Hussein » ou bien encore « Onze septembre ».

On a vu que le remix non numérique situe très tôt toute l’importance et les formes du rôle sociétal du remix politique, que cela soit au niveau des sources utilisées, des thèmes traités et des approches. Je les reprendrai en synthèse. Mais que va apporter le remix politique « numérique » à cette pratique finalement déjà bien établie ? On a vu qu’avec l’apparition du réseau Internet et l’augmentation progressive des débits, le Web qui, dans un premier temps, diffusait uniquement des informations textuelles s’est enrichi au fur et à mesure des années, par des contenus multimédias ; dans un premier temps, en 1992, avec des contenus picturaux24), puis une dizaine d’années plus tard avec la généralisation du lecteur vidéo flash de contenu audiovisuel. Cette disponibilité, en plus d’une manipulation plus aisée des contenus par l’intermédiaire de logiciels, a permis, comme en son temps le magnétoscope, de démocratiser et renouveler la pratique du remix. Et notamment, on vient de le voir, dans le cadre des remix numériques de matériaux à caractère politique. Je rappellerai que si les médias postés sur Internet ne sont pas très différents de ceux issus des médias analogiques (télévision, radio), ils sont en revanche soudain très accessibles aussi bien aux auteurs de remix qu’à leur auditoire. À partir de 200525), ceci va encore s’accroître du fait de la généralisation de l’usage de sites de diffusion à grande échelle comme Youtube.com ou Dailymotion.com. Des sites qui décloisonnent la diffusion et le partage (le visionnage et la copie) par rapport aux modèles fermés précédents de diffusion audiovisuelle. La situation du remix numérique est ainsi inédite et marquée par une mise à disposition des sources sans précédent et une profusion de matériaux enregistrés par d’autres ; et par un temps (l’immédiateté) et une échelle de diffusion (la planète) tout à fait nouveaux. Plusieurs artistes vont désormais puiser dans ces informations mises à jour en permanence pour créer des remix à portée essentiellement politique. Les thématiques abordées rejoignent aussi celles de la période pré numérique. On ne les reprendra pas ici, mais on relèvera deux œuvres qui situent toute la potentialité nouvelle du remix numérique politique :

  • Le remix en prise directe avec l’événement politique qui souligne le rôle renforcé de catalyseur des échanges sociaux du remix numérique.
  • Le remix lié à la production 3D qui témoigne, une fois de plus, de l’importance de l’innovation technologique et de son détournement dans le processus artistique et sociocritique.

Désormais, les remix numériques, par leur diffusion quasi immédiate par rapport au temps des événements en cours, peuvent même avoir un impact sur le déroulement de ces mêmes événements. Certains sont récupérés, réassimilés dans les médias de masse et diffusés en dehors du cadre confidentiel des sites Web sur lesquels ils sont hébergés.

Un exemple notable est réalisé en 2011 par un journaliste et musicien israélien durant la guerre civile libyenne. À partir d’un discours donné par Mouammar Kadhafi pendant les violences inhérentes à la guerre civile qui secoue la Libye, Noah Alooshe en extrait plusieurs phrases pour ensuite les remixer avec une chanson de rap américain. En utilisant le logiciel Auto-Tune qui permet de changer le pitch d’une voix en fonction d’une note de musique, il donne l’illusion que l’orateur (ici Mouammar Kadhafi) chante la même mélodie que la chanson. Dans Muammar Gaddafi - Zenga Zenga Song - Noy Alooshe Remix 26), il transforme ce discours de propagande en un clip musical et décrédibilise le message initial. Diffusé sur YouTube seulement quelques heures après la tenue du discours, ce clip vidéo fut adoubé par les partisans de l’opposition libyenne, de par le caractère ridicule que conférait ce remix à leur ennemi. Paradoxalement les partisans de l’autre camp utilisèrent aussi cette vidéo, pour célébrer leur chef. La fille de Kadhafi ayant, durant un discours mis en fond sonore la bande-son de la vidéo.27)

Figure 30. Zenga Zenga Song - Noy Alooshe Remix (ALOOSHE, Noy, 2011)

Par ailleurs, un autre type de remix a fait son apparition avec l’avènement de la diffusion instantanée et la simplification de la production de films en trois dimensions. Je prendrai comme exemple une compagnie de films d’animation, Next Media Animation qui s’est fait comme spécialité d’illustrer des faits d’actualité récents avec des personnages et des décors en trois dimensions28). Ici, ce sont les faits eux-mêmes, et non leur traduction visuelle ou sonore, qui sont remixés et réinterprétés. Le fait de transposer chacun des protagonistes en un avatar virtuel permet aux auteurs travaillant pour Next Media Animation de proposer de nouvelles interprétations, en périphérie de l’histoire originelle.

Cette liberté de pouvoir, à moindre coût, faire faire n’importe quelles actions à leur personnage est utilisée dans un but satirique. Dans Spain protests 2012 : Police brutality in anti-austerity riots (Cargas en el Congreso),29) ils font un résumé des problèmes et tensions sociales qui ont touché l’Espagne en 2012. Ils y ridiculisent notamment les dirigeants espagnols affublés d’une tenue de Pinochio.

Figure 31. Spain protests 2012: Police brutality in anti-austerity riots (Cargas en el Congreso) (NEXT MEDIA ANIMATION, 2012) Ces deux types de remix, par leur création et diffusion proches temporellement de l’événement pris pour sujet, ont un impact amplifié du fait de cette instantanéité. Ils peuvent aussi être utilisés à des fins de propagande dans le cadre de conflits.

Je terminerai cet historique en relevant que la dynamique de création sous-tendant le remix politique découle de manipulations techniques qui ont été et sont en constante évolution. Cela donne à penser que le remix politique a encore un beau parcours en devenir, en lien notamment avec l’extrême potentialité d’innovation du secteur des technologies numériques.

Je viens de présenter des exemples de remix, numérique ou non numérique, choisis parce qu’ils éclairent une chronologie et, ainsi, les fondements du remix politique et de l’intention affirmée de leur créateur. On retiendra en synthèse que la plupart des remix politiques sont créés en réponse à des événements politiques ou géopolitiques décidés unilatéralement par la classe politique ou par des lobbies de corporation privée et à des doctrines et des idéologies dominantes et opprimantes. Ce type d’œuvre est un des moyens d’expression et/ou de protestation employés par des artistes et/ou des activistes. En se réappropriant les médias créés par les responsables visés par la critique, en s’appuyant sur les nouvelles technologies pour les détourner, les réinterpréter au sens fort du terme (cinéma, puis magnétophone et magnétoscope, puis images 3D et images numériques, etc.), ces auteurs dénoncent les sociétés et les idéologies dominantes et témoignent d’un point de vue de la sociocritique, et ce, à travers le matériau même de leurs communications.

Nos exemples soulignent aussi que l’évolution du remix « avant le numérique » est marquée par une belle diversité. – Une diversité de thèmes, point de départ d’une opposition radicale : anticapitaliste, anti nazi, anti maoïste, antiraciste, anti consommation de masse, anti énergie fossile… – Une diversité de sources qui peut exploiter aussi bien des reportages, des extraits vidéo, des journaux télévisés, des émissions de variétés, des publicités, des dessins animés que des extraits de film, le cinéma restant d’ailleurs une valeur historique et sûre du remix politique. Ces sources peuvent être utilisées seules ou bien conjuguées avec brio pour créer ce que l’on a appelé une diatribe ironique, voire absurde. – Une diversité d’approches : une critique qui peut être radicale, documentée, acerbe, satirique, humoristique ; voire une anti propagande qui use à l’excès des mêmes effets, on l’a vu, par martèlement manipulatoire ou effet de litanie à la limite de la folie, et qui détourne le réel pour lui faire perdre son innocence et révéler le caractère inflammatoire des documents sources incriminés.

Fort de cet héritage, le remix numérique va naturellement reprendre à son compte cette diversité, mais aussi s’appuyer sur les conditions singulièrement adaptées à son projet apportées par le Web et la culture numérique ; par exemple, l’accessibilité et la profusion sans précédent des sources et des matériaux générés à l’envi par les internautes, la diffusion virale, l’immédiateté et la proximité avec les « événements - sources », la distance et la capacité de réinterprétation des faits eux-mêmes par la 3D, etc. Un des changements le plus opérants se situant au niveau de la diffusion virale puisque le remix non numérique ne bénéficie au départ principalement que du principe de bouche à oreille. Sa diffusion, bien que souvent imaginée comme virale, reste limitée à cause de la maîtrise des canaux de diffusion (télévision d’état, journaux financés par des capitaux privés). Le remix numérique va, lui, bénéficier d’une diffusion sans précédent qui échappe rapidement aux pouvoirs dominants et permet ainsi au remix politique de jouer réellement son jeu de perturbateur et accusateur. Quoi qu’il en soit, tout concourt à renforcer le rôle de catalyseur des questionnements sociaux du remix politique et à générer de nouvelles explorations artistiques.

Après cette mise en contexte artistique et sociopolitique du remix, il est temps à présent d’avoir une compréhension plus fine des formes de remix et de comprendre leur singularité. Je commencerai par retracer un historique du remix sonore, visuel, textuel et d’objet (II.b) ; puis je développerai plus avant les principes singuliers associés aux pratiques de remix numérique (II.c).


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Article précédent : ii.Le remix dans les courants artistiques

1) , 14) , 17)
MCINTOSH, Jonathan. op. cit.
2)
MALITSKY, Josh. Esfir Shub and the Film Factory-Archive [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 14 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : http://www.latrobe.edu.au/screeningthepast/firstrelease/fr_17/JMfr17a.html.
3)
HORAK, Jan-Christopher. German communist Kinokultur, pt.1, by Jan-Christopher Horak [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 14 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : http://www.ejumpcut.org/archive/onlinessays/JC26folder/GermCPKinocult1.html.
4) , 12) , 15)
Ibid.
5)
JUTZI, Phil. Mutter Krausens Fahrt ins Glück, 1929 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 14 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=dv9xQxReF24.
6)
L’Enfer des pauvres [en ligne]. [S. l.] : [s. n.], 15 février 2016. [Consulté le 15 juin 2016]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=L%27Enfer_des_pauvres&oldid=123384826. Page Version ID: 123384826.
7)
RIDLEY, Charles A. Lambeth Walk, 1941 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 15 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=gYdmk3GP3iM.
8)
Le Triomphe de la volonté [en ligne]. [S. l.] : [s. n.], 19 novembre 2015. [Consulté le 15 juin 2016]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Le_Triomphe_de_la_volonté&oldid=120631581. Page Version ID: 120631581.
9)
The Lambeth Walk [en ligne]. [S. l.] : [s. n.], 10 avril 2016. [Consulté le 15 juin 2016]. Disponible à l’adresse : https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=The_Lambeth_Walk&oldid=714626545. Page Version ID: 714626545.
10)
VIÉNET, René. La dialectique peut-elle casser des briques ?, 1973 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 16 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : http://www.ubu.com/film/vienet_dialectics.html.
11)
VIÉNET, René. Chinois, encore un effort pour être révolutionnaires, 1977 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 16 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : http://www.ubu.com/film/vienet_chinois.html.
13)
GRAHAM, Todd. Apocalypse Pooh, 1987 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 22 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=5jWGJ3pyLgs.
16)
ROTH, Cliff. The Reagans Speak Out on Drugs, 1988 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 24 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=La5jrfobfTM.
18)
PATIRIS, Phil. The Iraq Campaign 1991 : a television history, 1991 [en ligne]. 26 octobre 2012. [Consulté le 26 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=rkSWX7qi6TA.
19)
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20)
JOYCE, Bryan. And Now a Word from Our Sponsor…,1994 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 26 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=2j--8ZLYUaI.
21)
OSWALD, Paul Harvey. Bless Your Car with Love, 2000 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 26 octobre 2012]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=xdRoTeGFjZg.
22)
SÖDERBERG, Johan. Read My Lips: Bush and Blair, 2002 [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 5 novembre 2012]. Disponible à l’adresse : http://www.soderberg.tv/videos/8_AUDIOVISUAL_ART/RML_ETERNAL_LOVE.mov.
23)
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24)
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25)
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26)
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27)
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28)
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29)
NEXT MEDIA ANIMATION. Spain protests 2012: Police brutality in anti-austerity riots (Cargas en el Congreso), 2012 [en ligne]. 2012. [Consulté le 16 février 2013]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=NRDPnrOIl-o.