La création numérique est un champ de création ouvert et hétérogène en perpétuelle évolution. Il n’est pas dans mon intention d’en dresser ici l’historique et la typologie. Je passerai en revue, dans la partie II, les principaux courants artistiques en lien avec le remix et son histoire. Avant d’envisager les pratiques de remix proprement dites, il me semble important de relever, dans cette section, trois points inhérents aux pratiques artistiques induites par le médium numérique.

Compte tenu de l’orientation de mon travail artistique, souvent en lien avec Internet (par exemple, Plagiairc à la fois construit à partir des contenus Internet, mais aussi totalement dépendant du réseau Internet pour fonctionner), je commencerai par interroger les nouvelles stratégies de création induites spécifiquement par le réseau Internet, le Net Art notamment permettant d’approcher très tôt nombre des soubassements des pratiques de remix numérique. Toujours en lien avec certaines de mes œuvres (par exemple, Spoiler, soumise au spectateur et lui permettant de projeter présent et avenir dans le même espace-temps), j’interrogerai le nouveau rapport au temps et au spectateur opéré par l’œuvre numérique. Enfin, j’aborderai une pratique originale liée au réseau Internet, celle de l’artiste collectionneur, mon travail reposant souvent sur la collecte systématique de nombreux matériaux de création (par exemple, La lyre publicitaire a nécessité l’enregistrement sonore de 250 slogans publicitaires diffusés à la télévision) ou sur une pratique de curation1). Autant de questions issues de ma pratique que cet état de la question théorique permettra d’éclairer.

À partir de la démocratisation de l’accès au réseau Internet, les artistes investissent massivement ce nouveau lieu. Ils le font, dans un premier temps, pour nourrir leur réflexion et leur inspiration et pour donner à voir leur travail. Mais Internet devient rapidement le vecteur de création et, on l’a vu, de médiation. Comme l’explique Jean-Paul Fourmentraux, pour les artistes « le réseau Internet y est tour à tour investi comme un atelier en ligne, un lieu d’exposition ou de réflexion : c’est-à-dire comme l’espace simultané de création et de communication au public des œuvres d’art. »2) Cette simultanéité ouvre le champ à tous les possibles (avec néanmoins des contraintes inhérentes à ce nouveau médium). Je retiendrai surtout un mouvement artistique désigné par le terme Net.Art qui apparaît à partir des années 1990, dans la continuation du Mail art des années 1960, de l’art cybernétique des années 1970 et de l’art numérique des années 1980. Ce courant artistique originaire d’Europe (et plus particulièrement, d’Europe de l’Est) inclut des artistes fondateurs comme Olia Lialina, Alexei Shulgin ou Vuk Cosic, ou des artistes postérieurs comme Mark Napier.

Figure 11. Riot Wired.com and Yahoo.com (NAPIER, Mark, 1999)3)

Je prendrai, à titre d’illustration, l’œuvre intitulée Riot de Mark Napier4). Celui-ci la définit comme une alternative à un navigateur Web traditionnel, qui métaphoriquement permet de créer une « émeute » visuelle et textuelle au fur et à mesure de son utilisation, de sa navigation, permettant de rendre perméables les « frontières » qui séparent les sites Web. « Riot perturbe les règles acceptées de la propriété (dans le sens de possession) et expose la fragilité des frontières territoriales. Inspiré par la confrontation des positions sociales et les idéologies du quartier Lower East Side de New York5), Riot est un logiciel codé comme un “melting pot”, un broyeur qui mélange les pages Web à partir de domaines distincts dans une seule et même fenêtre d’un navigateur »6). Avec Riot, Mark Napier nous propose une œuvre qui fait apparaître, sur une même page, la temporalité de notre navigation sous la forme d’une accumulation d’éléments visuels et intertextuels extraits de cet historique. Les liens de chaque page étant cliquables, l’utilisateur peut choisir de continuer sa navigation et de ce fait, créer un nouveau collage. Riot met en évidence une facette indicible des sites Web, révélant leur différence avec les pages d’un livre papier, le code HTML qui sous-tend leur monstration.

Cette œuvre renvoie bien au Net.Art. En effet, ce courant « questionne très tôt les spécificités technologiques, politiques et sociales de l’Internet. Au cœur des œuvres, la critique des régimes non démocratiques, l’hacktivisme, le cyberféminisme constituent les prémisses de la création sur l’Internet. Cet art est indissociable de la technologie et du contexte sociopolitique des années 1990. »7) Un point important, car on verra, dans la partie II, toute la place du remix politique en général et de la visée critique ou politique du remix artistique en particulier.

Par ailleurs, il importe de noter que ce mouvement regroupe des créations qui ont été conçues « par, pour et avec » le réseau Internet avec, comme spécificité, d’avoir une « implication parasitaire, mettant en œuvre une pratique de l’infection et de la contamination : leur démarche a pris pour objet l’incident, le bug, l’inconfort technologique. »8) Et d’une façon plus générale, selon Natalie Bookchin et Alexei Shulgin9), le Net.Art se caractérise par « la collaboration sans considération pour l’appropriation d’idées d’autrui, le fait de privilégier le principe de communication au principe de représentation, l’immédiateté, l’immatérialité, la temporalité […] le parasitisme comme stratégie de création […] la disparition des frontières entre le public et le privé. »10) Une citation qui me fait saisir qu’il existe, dès les prémisses de la création sur Internet, nombre des caractéristiques importantes des œuvres actuelles de remix numérique.

Cet important mouvement du Net.Art ne durera officiellement qu’une petite dizaine d’années du fait de la volonté de ses fondateurs, le Net.Art étant « déclaré mort selon Vuk Cosic en 1998 ou 1999 »11). Même si le Net.Art reste tout de même d’actualité, il est vrai que l’on assiste, après les années 2000, à une inflation de pratiques et que les termes pour désigner la création sur le réseau se diversifient. On parle aussi d’Art en réseau, d’Art Internet, d’œuvre en ligne et bien sûr de Net Art (sans le point entre les deux mots qui caractérise le mouvement pré 1999).12)

Nombre d’œuvres hétéroclites réalisées par un panel plus varié d’artistes et de pratiques composent un paysage complexe et difficile à cerner. Comme l’explique Julien Stallabrass, « écrire à propos d’art sur Internet est comme essayer de fixer des mots sur un phénomène instable et protéiforme. Cet art est fixé par les limites de son développement même, chevauchant un torrent impétueux de progrès technologique. […] L’“art” lui-même est un terme contesté - rejeté par certains de ceux qui ont été appelés “net artiste” - et c’est seulement ici utilisé timidement, comme un terme convenu sous lequel un panel de phénomène peut être examiné. Sa cohérence peut être seulement jugée a posteriori. » 13) De fait, l’accès facilité au numérique et surtout à sa transformation donne aussi des moyens d’intervention immenses à des amateurs de production numérique (sans que ce terme soit forcément péjoratif) ou en tous cas, à des intervenants qui n’ont pas forcément d’intention artistique affirmée. Cela conduit l’artiste numérique à se positionner et à s’interroger plus avant sur le sens et les frontières de son travail. Parallèlement, cela lui demande une connaissance de plus en plus poussée des technologies comme des mondes démultipliés qu’elles produisent.

Dans ce paysage complexe de la création numérique, une distinction importante s’impose, entre un « art sur le réseau et un art en réseau »14), comme le souligne Jean-Paul Fourmentraux. Avant de développer, je rappellerai que la grande majorité des éléments visuels et sonores présents dans les œuvres numériques sur Internet et par extension sur le Web, peut être catégorisée de trois façons différentes. La première catégorie regroupe les éléments provenant d’une numérisation par l’intermédiaire de capteurs physiques (appareil photographique numérique, enregistreur sonore numérique, clavier textuel). La deuxième, dans l’extension de la première, correspond aux éléments transposés d’un média traditionnel à une forme numérique. C’est-à-dire qu’ils ont déjà été enregistrés et publiés sur un support physique (par exemple, un tirage photographique, un journal, une revue, un compact disque, un vinyle). Ils sont ensuite numérisés grâce à des capteurs physiques spécifiques (scanner d’image, lecteur de disque compact d’ordinateur). Enfin, une troisième catégorie regroupe tous les éléments visuels et sonores qui ont été créés par des logiciels de création visuelle et sonore. Éléments qui n’ont pas de filiation historique avec une réalité physique antérieure.

La monstration de ces trois catégories d’éléments peut fonctionner soit sur le réseau Internet, soit de manière autonome, plus précisément sans nécessiter une connexion au réseau. Ils sont alors présents, de manière locale, dans les disques durs d’un ou plusieurs ordinateurs.15)

Dans le cas d’« art sur le réseau », la transition de ces éléments sur Internet se fait dans la majorité des cas grâce à leur téléversement sur des plateformes de publication de contenu (que l’on dénomme plus communément site Web ou site Internet). Cette publication permet leur diffusion, leurs représentations dans l’espace d’exposition qu’est le Web, un espace lisible par un navigateur Internet.

En revanche, dans le cas d’« art en réseau », les œuvres fonctionnent en étroite interrelation avec le réseau Internet. Généralement, ce type d’œuvre utilise les nouvelles potentialités et les contraintes du réseau Internet comme un élément majeur de leur conception et de leur représentation. Mais comme l’explicite Steve Dietz, cité par Jean-Paul Fourmentraux, pour faire œuvre, les réalisations d’œuvres numériques doivent « impérativement dépasser le stade de la transposition, de l’illustration ou de la stricte démonstration des caractéristiques techniques du réseau. »16)

Que l’art soit sur ou en réseau, je remarquerai que le Web est la plateforme la plus répandue pour consulter et expérimenter les œuvres présentes sur le réseau Internet. Mais plusieurs autres protocoles de communication propres à ce réseau peuvent aussi être investis par les artistes. Tels le courrier électronique, les groupes de discussion en ligne, le transfert de fichier, éléments qu’on pourra ajouter à ma grille d’analyse pour l’étude des œuvres de remix. L’intervention sur une pluralité de protocoles est bien illustrée par l’œuvre Pirate Cinéma17) de Nicolas Maigret. À travers cette œuvre, il tente de révéler les flux des réseaux de téléchargement de pair-à-pair (aussi dénommé p2p) transitant en permanence sur le réseau. À partir d’un dispositif créé avec l’ingénieur Brendan Howell, Pirate Cinéma capte des fragments des flux p2p entre plusieurs ordinateurs s’échangeant des films. Les artistes ont choisi de surveiller les films les plus populaires lesquels sont partagés entre plusieurs centaines de personnes à travers le monde. Sous la forme d’une installation vidéo, l’œuvre affiche sur trois vidéoprojections différentes une suite d’images captées, au fur et à mesure qu’elles sont interceptées. « La fragmentation du média “p2p” se traduit par une fragmentation du matériel du film et de sa narration, […] films entrelacés dont le montage aléatoire est réalisé par les utilisateurs à leur insu. »18)

Figure 12, Pirate Cinéma (MAIGRET, Nicolas, 2013)19)

Je noterai que la distinction d’« art sur » ou d’« art en » réseau me donne des éléments guides pour catégoriser les remix numériques dans ma partie méthodologique. Je retiendrai qu’il y a deux sortes d’œuvres de remix : – Soit des œuvres de remix qui fonctionnent de manière autonome sans dépendre d’un raccordement au réseau. Elles nécessitent en amont que l’auteur ait collecté des médias présents sur Internet et qu’il s’en serve ensuite comme base pour ses remix en utilisant des fragments. – Soit, des œuvres de remix que l’on peut qualifier de Net Art, car intrinsèquement liées au réseau dans leur fonctionnement et leur monstration. Comme l’exemple cité précédemment de Pirate Cinéma20).

Figure 13. Gifmelter (BAKER, Tim et SHIER, Chris, 2014)

On pourrait rajouter entre ces deux catégories, une troisième, à mi-chemin entre l’une et l’autre. Une œuvre qui fonctionne ou peut fonctionner sans le réseau, mais qui utilise le réseau comme un moyen de diffusion à grande échelle, ou comme un moyen d’augmenter les possibilités de développement d’une œuvre dite ouverte. Par exemple, Gifmelter21) de Tim Baker et Chris Shier, qui propose d’utiliser un GIF22) animé comme palette de couleurs pour composer par l’intermédiaire du navigateur Internet de multiples dégradés colorés se décalant, de manière centrifuge, au cours du temps. Plutôt que de proposer une œuvre fixe, ces artistes ont mis en place un site Web contenant un formulaire permettant à chaque visiteur de renseigner un lien vers le GIF de leur choix. Cette image en mouvement détermine une palette de couleurs unique évoluant au cours du temps. Cette mise à disposition d’un procédé visuel pourrait fonctionner de manière autonome sur un ordinateur sans connexion au réseau. Mais le fait d’avoir mis en ligne le procédé et d’avoir intégré ce formulaire pour le visiteur a permis de générer de manière exponentielle une grande quantité de versions possibles.

En marge de l’art sur et en réseau, il est intéressant de souligner qu’un dernier courant apparaît suite à l’assimilation de plus en plus prégnante des pratiques et des techniques liées à l’Internet et au numérique, l’art dit Post-Internet. À l’origine évoquée par Marisa Olson à la fin des années 200023), il fut théorisé dix ans plus tard par le critique d’art Gene Mc Hugh24) et l’artiste Artie Vierkant25) et directement rattaché au postmodernisme. Pour rappel, la notion de postmodernisme (ou postmodernité) renvoie à une rupture avec la valeur moderniste de l’art et considère que le concept de progrès est obsolète. Auparavant, du moins depuis la fin du 19e siècle, chaque mouvement artistique qui se succédait prétendait innover. Avec le postmodernisme au lieu de revendiquer le fait d’être d’avant-garde ou novateur, le propos s’est déplacé vers une interrogation de la fonction même de l’art. En utilisant les codes et schémas esthétiques du passé, les artistes postmodernes s’autorisent à avoir un regard ironique et décalé sur les œuvres qu’ils produisent. Par cette prise de distance, ils s’approprient des motifs artistiques anciens et les traitent de façon critique ou parodique. L’autre caractéristique du postmodernisme est l’affirmation du décloisonnement des disciplines artistiques. Auparavant catégorisées en disciplines spécifiques, la peinture, la sculpture, la gravure, etc., sont désormais plutôt considérées par les artistes postmodernistes comme un ensemble dans lequel ils vont pouvoir puiser pour élaborer leurs œuvres.

Je remarquerai que la plupart des artistes de remix s’inscrivent dans le postmodernisme et je renverrai le lecteur au chapitre sur le remix et les courants artistiques (II.a.ii). Et il est intéressant de voir que l’Art Post-Internet redouble cette posture en se posant cette fois-ci en rupture avec l’évolution des nouvelles pratiques qui ont émergé avec le Net Art. Alors qu’avec le Net Art, les œuvres se sont émancipé des galeries et d’autres lieux de monstration pour être présentes uniquement sur Internet, l’Art Post-Internet, lui, réinvestit les lieux traditionnels d’exposition à travers des productions physiques d’objets et des impressions. Pour une nouvelle génération d’artistes, la notion de réseau évolue, leurs œuvres ne sont plus figées sur un support. Plutôt que de questionner et utiliser le réseau, ils partent du postulat qu’Internet est maintenant une partie intégrante de notre société. Le statut de l’œuvre change radicalement, car l’artiste crée en prenant en compte les différentes représentations possibles de l’œuvre : de façon physique et/ou sur Internet et/ou de façon remixée. Ainsi pour Artie Vierkant, « l’œuvre d’art se trouve à la fois dans plusieurs versions, celle de l’objet situé dans une galerie ou un musée, celle d’une représentation picturale diffusée par le biais de l’Internet et de publications imprimées et celle d’images “pirates” de l’objet ou de ses représentations, avec toutes les variations possibles lorsque d’autres auteurs les modifient et les recontextualisent. »26)

Ce postulat rejoint la New-Aesthetic, un concept initié par le designer et artiste James Bridle qui propose de catégoriser et de répertorier des éléments esthétiques propres à la culture visuelle engendrée par la technologie. New-Aesthetic signifie l’irruption de ces éléments dans le monde réel. Ces composants visuels, nés du Web ou des innovations technologiques (générés par les contraintes d’usage ou de fonctionnement), se propagent dans le monde physique et y introduisent des motifs qui n’existaient pas auparavant.

Je prendrai l’exemple de l’artiste Cory Arcangel qui, dès le début des années 2000, utilise des stratégies d’appropriation de remix dans son travail. Une particularité de certaines de ses œuvres est qu’il détourne des jeux vidéo populaires. Notamment avec l’œuvre Super Mario Cloud27) dans laquelle il transforme le jeu vidéo Mario Bros de la société Nintendo. L’artiste modifie le contenu de la cartouche de ce jeu vidéo en la reprogrammant. Il transforme ce que le jeu affiche à l’écran et le « dépouille littéralement de ses affects pour le transformer en une véritable œuvre artistique qui met en jeu désormais des notions de paysage, de figure/fond ».28) On se retrouve devant une version épurée où seul un élément de décor reste présent, les représentations graphiques des nuages du jeu. Il choisit aussi comme contrainte pour sa monstration d’utiliser les technologies inhérentes à son fonctionnement. Ainsi il va utiliser une console de jeu Nintendo pour exposer sa « version » de la cartouche du jeu.

Figure 14. Super Mario Cloud (ARCANGEL, Cory, 2002)

Comme l’explicite Douglas Edric Stanley, dans Super Mario Cloud « nous ne nous attardons plus sur les mécanismes de “mass production” de l’objet et le réaffectons en tant que spécificité en le sortant de sa chaîne de production pour le faire rentrer dans une autre. »29) L’artiste va utiliser deux objets issus de la culture de masse et les placer dans un contexte différent (un lieu d’exposition), puis modifier le contenu du jeu pour en proposer une nouvelle « version ».

Pour illustrer le dialogue entre le monde réel et sa captation par Internet puis sa retranscription sous la forme d’installation artistique, je prendrais l’exemple de l’œuvre de Rafael Lozano Hemmer, Nineteen Eighty-Four30). L’artiste dans cette installation utilise comme matériau les photographies mises à disposition par Google Street View31). Des processus de reconnaissance automatisée mis en place par la société Google récupèrent automatiquement les chiffres présents sur les photographies et plus particulièrement, les numéros de chaque habitation. Pour Google, c’est un moyen d’affiner la précision avec laquelle le site Google Map va répondre à la recherche d’une adresse précise et va afficher une représentation photographique en conséquence. Avec ce procédé, des représentations photographiques prises dans l’environnement urbain sont transcrites sous forme d’informations textuelles. Ces informations vont permettre de facilement localiser une habitation. C’est ce principe que Rafael Lozano Hemmer souhaite questionner. Comment les services, comme Google Street View, permettent-ils une rationalisation informatisée du monde et, a posteriori, font-ils partie d’un vaste processus de surveillance des individus ? Le dispositif qu’il a créé utilise ces chiffres extraits des habitations pour créer un compteur. Un clavier digital et une molette permettent au spectateur de faire varier la suite de chiffre affichée à l’écran. De cette variation, le compteur va soustraire ou ajouter une unité numéraire (et donc changer le fragment de photographie du chiffre) au cours du temps pour atteindre le numéro 1984. Rafael Lozano Hemmer fait ici référence au titre de l’ouvrage de George Orwell, 198432), livre dans lequel l’auteur décrit une société dans laquelle toute la population est sous surveillance.

Figure 15. Nineteen Eighty-Four (LOZANO-HEMMER, Rafael, 2014)

Par cette réappropriation de fragments de photographies présentes sur le Web, et plus particulièrement la partie servant à identifier une habitation, l’artiste tente de mettre en perspective le potentiel intrusif de ces éléments. Au fur et à mesure que des organisations numérisent des éléments extraits du monde réel, principalement dans l’optique de fournir un nouveau service au public, un nouvel outil de surveillance émerge, témoin d’une logique de contrôle qu’évoque ici l’artiste comme dans l’esprit du livre 1984.

Ce chapitre a souligné combien les nouvelles stratégies de création générées par le médium numérique, par ou sans Internet, ont évolué et combien elles correspondent à l’esprit des artistes du remix. Elles m’engagent en tant que chercheur et artiste à porter attention aux phénomènes de filiation et de rupture constamment à l’œuvre dans le champ de l’art numérique. Elles relèvent aussi plusieurs principes importants de la création numérique. Parmi ceux-ci, je développerai, à présent, un principe important de l’œuvre numérique : son rapport au temps.


Article suivant : ii.L'œuvre numérique - un nouveau rapport au temps

Article précédent : iii.La création numérique et la transgression du droit d’auteur

1)
cf. plusieurs sites de curation que je tiens comme https://links.fluate.net, https://reader.fluate.net
2)
FOURMENTRAUX, Jean-Paul. Œuvres en partage. La création collective à l’ère d’Internet. connexions. 2008, Vol. 2008, no 90, p. 179–191.
3)
NAPIER, Mark. Riot [en ligne]. 1999. [Consulté le 31 mars 2015]. Disponible à l’adresse : http://marknapier.com/riot.
4) , 8) , 20) , 24) , 29)
Ibid.
5)
Il fait référence au Tompkins Square Park riot (1988) [en ligne]. [S. l.] : [s. n.], 30 mai 2016. [Consulté le 15 juin 2016]. Disponible à l’adresse : https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Tompkins_Square_Park_riot_(1988)&oldid=722905131. Page Version ID: 722905131.
6)
Riot disrupts the accepted rules of property and exposes the fragility of territorial boundaries. Inspired by the clashing classes and ideologies of New York's lower east side, Riot is a software coded “melting pot”, a blender that mixes Web pages from separate domains into one browser window.NAPIER, Mark. About Riot [en ligne]. 1999. [Consulté le 29 septembre 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.potatoland.org/riot/about.html. Traduction libre : BOILLOT Nicolas
7)
VIDAL, Geneviève, PAPILLOUD, Christian, FOURMENTRAUX, Jean-Paul, et al. Net Art et autoproduction [en ligne]. [S. l.] : Labex ICCA industries culturelles & création artistique, 2015. [Consulté le 31 mars 2015]. Disponible à l’adresse : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_01119765/.
9)
BOOKCHIN, Natalie et SHULGIN, Alexei. Introduction to net.art (1994-1999) [en ligne]. 1999. [Consulté le 31 mars 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.easylife.org/netart/catalogue.html.
10)
Collaboration without consideration of appropriation of ideas, Privileging communication over representation, Immediacy, Immateriality, Temporality, […] Parasitism as Strategy, […] Vanishing boundaries between private and public. Ibid. Traduction libre : BOILLOT Nicolas
11)
LAFORET, Anne. Le net art au musée: stratégies de conservation des oeuvres en ligne. Paris : Questions théoriques, 2011. ISBN 978-2-917131-04-6. N7433.8 .L34 2011.
12)
Pour éviter toute ambiguïté dans le texte de cette thèse, je prendrai d’ailleurs le parti de désigner toute la création présente sur Internet sous le terme de Net Art.
13)
To write about art on the Internet is to try to fix in words a highly unstable and protean phenomenon. This art is bound inextricably to the development of the Internet itself, riding the torrent of furious technological progress. […] “ Art ” itself is a term of dispute - rejected by some of those who have been called “net artists” - and it is only used here tentatively, as a term of convenience under which a number of phenomena can be examined. Its coherence can only be judged later. STALLABRASS, Julian. Internet Art: The Online Clash of Culture and Commerce. London : Tate, 28 octobre 2003. ISBN 978-1-85437-345-8. Traduction libre : BOILLOT Nicolas
14)
FOURMENTRAUX, Jean-Paul et HENNION, Antoine. Art et Internet : Les nouvelles figures de la création. Paris : CNRS, 9 novembre 2005. ISBN 978-2-271-06353-3.
15)
On utilise le terme de hors-ligne pour définir, ce qui peut fonctionner, s’afficher sans nécessiter d’être connecté au réseau.
16)
FOURMENTRAUX, Jean-Paul et HENNION, Antoine. op. cit.
17)
MAIGRET, Nicolas. The Pirate Cinema - A cinematic collage generated by P2P Users [en ligne]. 2013. [Consulté le 18 mars 2015]. Disponible à l’adresse : http://thepiratecinema.com.
18)
LECHNER, Marie. Nicolas Maigret: «montrer le flux numérique à l’échelle mondiale» - Libération [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 18 mars 2015]. Disponible à l’adresse : http://next.liberation.fr/cinema/2013/10/08/montrer-le-flux-numerique-a-l-echelle-mondiale_937985.
19)
MAIGRET, Nicolas. op. cit.
21)
BAKER, Tim et SHIER, Chris. Gifmelter [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 18 mars 2015]. Disponible à l’adresse : http://csh.bz/gifmelter/.
22)
Je propose une explication plus en détail du GIF dans la partie II.c.ii.
23)
MCHUGH, Gene. Post Internet. [S. l.] : LINK Editions, 8 septembre 2011. ISBN 978-1-4478-0389-8. p.5
25)
VIERKANT, Artie. The Image Object Post-Internet. [S. l.] : [s. n.], 2010. [Consulté le 10 septembre 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.artlurker.com/wp-content/uploads/2011/03/image-object-postInternet.pdf.
26)
it is assumed that the work of art lies equally in the version of the object one would encounter at a gallery or museum, the images and other representations disseminated through the Internet and print publications, bootleg images of the object or its representations, and variations on any of these as edited and recontextualised by any other author. Ibid. Traduction libre : BOILLOT Nicolas
27)
ARCANGEL, Cory. Super Mario Clouds [en ligne]. 2002. [Consulté le 1 septembre 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.coryarcangel.com/things-i-made/supermarioclouds/.
28)
STANLEY, Douglas Edric. Cory Archangel - Super Mario Clouds - Thesis - Machines [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 1 septembre 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.abstractmachine.net/thesis/machines.php?id=64&language=francais.
30)
LOZANO-HEMMER, Rafael. Nineteen Eighty-Four [en ligne]. 2014. [Consulté le 8 septembre 2015]. Disponible à l’adresse : http://www.lozano-hemmer.com/nineteen_eighty-four.php.
31)
Google Street View est un service en ligne créé par la société Google permettant de retranscrire de manière photographique chaque rue sur une page Web. Méthodiquement et à l’aide de voitures géolocalisées disposant d’un système panoptique photographique Google a photographié la plupart des routes de plusieurs pays.
32)
ORWELL, George et AUDIBERTI, Amélie. 1984. FOLIO. Paris : Gallimard, 16 novembre 1972. ISBN 978-2-07-036822-8.