La notion d’auteur revisitée par les nouvelles technologies
La question du droit d’auteur peut particulièrement éclairer ce qui est à l’œuvre aujourd’hui dans les pratiques artistiques utilisant le réseau Internet et notamment, les pratiques de remix. Je commencerai par rappeler quelques grandes notions qui jalonnent l’histoire du droit d’auteur avant Internet : – l’instabilité du statut d’auteur,– l’incessant rapport de force auquel il est soumis, notamment au niveau de la production et de la diffusion, en regard des enjeux de dominance politique et économique de la propriété,– et plus largement, le poids des « nouvelles technologies » de diffusion dans ces mutations, au fil des époques. Mais je me demanderai surtout comment les notions d’auteur et de propriété sont revisitées par Internet, et par là même, les procédures de création, de consultation, de diffusion et d’exploitation.
Sans vouloir refaire un historique complet, je commencerai par remarquer que la notion d’auteur et de droit d’auteur est extrêmement fluctuante au fil des siècles. Par exemple, dans l’Antiquité, la création, notamment textuelle, est protégée par un droit moral.1) On lui attribue une paternité. Un plagiat lorsqu’il est remarqué est considéré comme une marque de déshonneur pour le plagiaire qui le pratique.2) Le statut d’auteur est donc reconnu et valorisé socialement. Au contraire, au Moyen-Âge, la plupart des œuvres de création n’ont pas d’auteur particulier et sont réalisées de manière anonyme et collective. Par exemple, dans le domaine de la peinture religieuse, de la tapisserie et de l’architecture. « La figure de l’auteur va s’affirmer vers la fin du Moyen-Âge par un changement de statut. Il passe d’artisan, travailleur manuel travaillant à la commande, à celui d’artiste, profession libérale à prétentions intellectuelles »3). Même si le droit d’auteur s’affirme au cours des siècles suivants, cette fluctuation du statut d’auteur ne cessera pas et sa remise en question est aujourd’hui une tendance forte, à l’ère Internet, j’y reviendrai. Une autre caractéristique du statut d’auteur est à relever. Son instabilité dépend aussi du rapport de force socioéconomique qui se joue autour de l’auteur, notamment par la pratique de la copie. Si la copie est une pratique ancienne (je pense ici, par exemple, aux moines copistes et enlumineurs du Moyen-Âge), c’est sans nul doute l’invention de l’imprimerie en 1440, qui renverse, de façon la plus radicale, la prétention intellectuelle4) de l’auteur sur son œuvre et qui va concentrer les débats et les lois autour du droit d’auteur. En simplifiant le moyen de reproduction des œuvres textuelles et en diminuant les coûts de la création à la diffusion d’une œuvre, les imprimeurs libraires vont imposer un monopole sur la diffusion du savoir et être un intermédiaire indispensable pour chaque auteur. Ainsi, au XVIIe siècle, Antoine Moreau explique que « la corporation des libraires s’oppose à ce que les auteurs puissent diffuser eux-mêmes leurs livres et réclame qu’ils leur soient soumis en droit. Le gouvernement interdit la pratique des privilèges généraux qui mettaient les auteurs en position favorable vis-à-vis des libraires. Puis, avec l’affaire dite “de la prolongation des privilèges”, qui oppose des libraires privilégiés et d’autres, non privilégiés, apparaît la notion de “domaine public” »5). Ce rapport de force entre diffuseur et auteur se prolonge ainsi au cours des siècles. Je retiendrai notamment cette tentative de Jean Zay du Front populaire en 1936. Il dépose un projet de loi où il propose de créer « la notion de “travailleur intellectuel” pour défendre l’auteur mis à mal par les intérêts des intermédiaires économiques. Il s’agit, en fait, d’ouvrir un ambitieux débat de société, mais le projet de loi rencontre l’hostilité des éditeurs, Bernard Grasset en tête, qui s’y oppose farouchement pour défendre le rôle de l’éditeur comme “créateur de valeur”. »6)
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, cette tension autour de la législation sur le droit d’auteur va encore évoluer en parallèle des évolutions technologiques liées à la diffusion des contenus. On assiste alors à un durcissement des principes régissant la protection des œuvres au fur et à mesure qu’il est de plus en plus facile, d’un point de vue financier et technique, de copier et partager des œuvres. Dans le domaine du droit d’auteur, deux visions s’opposent alors. Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux reconnaissent ainsi, d’une part, « les défenseurs d’un droit de propriété naturel de l’auteur sur son œuvre » et d’autre part, « les partisans d’un droit soumis à des critères d’efficience économique. (…) Cette distinction correspond largement à l’opposition qui existe entre la conception française et la vision anglo-saxonne »7) et cette dualité s’exprimera d’ailleurs particulièrement sur le Web. Dans la conception utilitariste anglo-saxonne, « la propriété tire sa légitimité de son efficacité économique et sociale. Cette optique est dominante aux États-Unis où le système du copyright ne reconnaît à l’auteur que des droits patrimoniaux cessibles et non pas des droits moraux. » A contrario, dans le droit français, « les composantes du droit moral sont (…) progressivement reconnues au nom du droit naturel de l’auteur sur son œuvre, sans aucune référence à une légitimité économique (…) Le système des droits d’auteur français présente (ainsi) aujourd’hui une double composante avec un droit patrimonial cessible8) et un droit moral inaliénable9). »10)
Avec l’arrivée d’Internet, ces lois sur le droit d’auteur vont devenir en quelque sorte caduques, à cause principalement des principes régissant le fonctionnement même du réseau et les difficultés de contrôle dans la diffusion d’œuvres. Comme l’explique Siva Vaidhyanathan, « Le moment numérique a fait s’effondrer la distinction entre trois processus auparavant différents : accéder à une œuvre, utiliser ou lire une œuvre, et copier une œuvre. (…) Le droit d’auteur a été conçu pour réguler seulement la copie. Il n’était pas supposé réguler le droit de lire et de partager. »11)
De fait, on voit bien que la compréhension de la notion de droit d’auteur dépend étroitement des technologies. Cela renvoie à l’idée de médiasphère défendue par Régis Debray qui souligne combien « on ne peut séparer une opération de pensée, à quelque époque que ce soit, des conditions techniques d’inscription, de transmission et de stockage qui la rendent possible »12). Debray identifie d’ailleurs « trois médiasphères, dont la logosphère caractérisée par la domination de l’écriture, la graphosphère dominée par l’imprimerie et la vidéosphère où règnent les technologies de l’audiovisuel. »13) J’ai déjà parlé de l’impact de l’invention de l’imprimerie sur le statut des auteurs. J’emprunterai à Edmond Couchot un exemple des changements opérés au niveau de la sphère visuelle : alors que « jusqu’au milieu du XIXe siècle, les images ne sont réalisées que par des artisans ou des artistes très qualifiés au moyen de procédés qui engagent toujours leurs corps »14), l’apparition de la photographie va changer le rapport de production des images qui « est mise à la portée de tous et le corps est moins sollicité »15). La vidéosphère « organisée autour du média-système audiovisuel (et non de l’image) comme dispositif d’inscription, de programmation et de transmission (elle) prend sa source dans les bouleversements technologiques, symboliques et sociaux induits par l’apparition de la photographie, et se prolonge à l’orée du développement généralisé de l’informatique et des télécommunications »16). Avec Internet apparaît une autre sphère : l’hypersphère qui « se définit, quant à elle (…) autour du modèle de l’hypertexte et du réseau. Son régime est celui de la connexion, de l’interaction et de la dissémination. Il introduit notamment une tendance à l’indifférenciation des acteurs de la transmission, une distanciation sémiotique inédite (celle du modèle ou de l’hologramme, qui n’est ni une convention, ni une représentation, ni une empreinte) ainsi qu’une temporalité complexe, où le flux se branche à nouveau sur des stocks. »17)
On comprend alors qu’avec Internet, les notions d’auteur, de production, de diffusion et de consultation se retrouvent profondément modifiées. Je propose à présent de m’y attarder. Pour structurer ma réflexion, je repartirai des « conditions techniques d’inscription, de transmission et de stockage »18) qui conditionnent chaque médiasphère, y compris l’hypersphère. Je commencerai donc par rappeler les principes de fonctionnement du médium numérique. J’ai déjà souligné qu’une donnée numérique a une matérialité formée uniquement de bits stockés sur la mémoire de l’ordinateur. La forme abstraite de cette information est ensuite retranscrite de manière intelligible, lisible par un logiciel spécifiquement créé pour interpréter ce type d’information. J’ai vu précédemment que cette malléabilité et cette dématérialisation des contenus confèrent « aux œuvres de l’esprit une fluidité qui déborde tous les canaux19) existants20). » De par cet attribut, l’outil numérique a entraîné une transformation des usages et une modification des limites admises dans la transgression du droit d’auteur et plus généralement, du droit de reproduction.
Ceci est notamment dû au fonctionnement des navigateurs sur Internet. Comme l’explique Rémi Chemain21): « La simple consultation d’un contenu mis en ligne entraîne automatiquement dans son procédé la reproduction en cache de ce contenu sur le terminal de l’utilisateur. Cette mise en cache, ou antémémorisation, est destinée à faciliter le traitement de l’information et sa disponibilité et est au cœur même du fonctionnement du réseau Internet puisque, sans cette fonctionnalité, il ne serait pas possible de gérer la surabondance de contenus. Ces reproductions sont automatiquement effacées et remplacées par les reproductions de contenus ultérieurement consultées par l’utilisateur. Du point de vue de l’auteur, il devient donc quasi impossible de contrôler la diffusion de ses données et son devenir. Et selon ce principe, chaque utilisateur devient métaphoriquement le propriétaire des médias qu’il est en train de consulter, du moins temporairement, jusqu’à ce qu’il efface son cache, ou que l’on assiste à un remplacement de ces données par d’autres. Cette pratique de copie par consultation est juridiquement admise par un arrêt de la Cour européenne de justice22). Ce fonctionnement ayant été reconnu selon l’article de loi comme constituant une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique de transmission en réseau.
Utilisant le même principe de copie pour améliorer la consultation d’un site Web, des sociétés spécialisées dans le « content delivery network (C.D.N.) » sont apparues. Pour augmenter la vitesse de chargement23) d’un contenu à travers le monde, elles proposent de copier ses données dans plusieurs parties du monde. Présents et dupliqués sur différents serveurs répartis aux quatre points cardinaux du réseau (généralement en bordure), ils diminuent la distance entre l’utilisateur et l’emplacement physique des données. Ce principe de données, dites réparties en « miroir », permet d’accélérer la consultation d’un site Web et la charge de travail d’un serveur Web pour afficher un contenu spécifique.24) Le principe de copie est ici démultiplié, renforçant toutes les questions posées du point de vue de la propriété et du contrôle de la diffusion.
D’autres organisations, comme l’Internet Archive (à but non lucratif), se sont données comme objectif « la préservation de la connaissance humaine et l’accessibilité des collections à tous », et ce, dans le domaine numérique. Depuis 1996, et de manière automatisée, l’Internet Archive réalise, à intervalles réguliers et pour chaque site présent25) sur Internet, des instantanés du contenu de chacune des pages Web le constituant. Par l’intermédiaire du site Web intitulé « Wayback machine26) », l’Internet Archive donne la possibilité de visualiser l’évolution d’un site Web depuis sa création (ou depuis 1996, si jamais le site est antérieur à la création de l’initiative de l’Internet Archive). En parallèle, il réalise aussi un travail de numérisation d’autres médias comme des archives visuelles, sonores, textuelles ou logicielles. La particularité de ces collections est qu’elles sont disponibles avec une licence (domaine public ou licence creative commons), qui permet leur réappropriation, et qu’elles sont donc adaptées aux pratiques de remix. L’exemple de l’Internet Archive me paraît être une des initiatives les plus significatives parmi les différents projets de numérisation et préservation de documents. Je pourrais citer, dans la même optique, les opérations de dépôt légal des sites Internet de la Bibliothèque du Congrès à Washington27) et de la Bibliothèque nationale de France28), à Paris. Mais si j’ai choisi d’en parler, c’est aussi pour souligner que la numérisation massive de plusieurs contenus a profondément changé le système de valeur que l’on pouvait leur attribuer précédemment sous leurs formes analogiques. La mise en réseau globale, entraînée avec la création d’Internet, a aussi rajouté à cette instabilité, à l’application de la « règle d’un pour un », propre au principe de rivalité que je reprendrai en fin de chapitre. En effet, une fois que l’on a « publié »29) par l’intermédiaire d’Internet et, plus particulièrement sur le Web, on prend le risque de perdre la maîtrise de sa diffusion et de sa singularité30). Cette information, dupliquée physiquement à plusieurs endroits de la planète, copiée par des parties privées et gouvernementales, restera disponible pendant de nombreuses années. Mais disponible ne veut pas forcément dire accessible. En fonction de la durée de vie des sites Web permettant de la consulter, on assiste à une disparition progressive des lieux de diffusion de contenus hébergés et consultables par le public. C’est pour cela que des initiatives comme l’Internet archive effectuent un travail d’archivage important d’un point de vue historique, voire archéologique, même si elle se situe à la limite de la légalité en termes de droit d’auteur, car copiant les données des sites Web sans en demander l’accord préalablement aux auteurs. On se trouve ici dans un débat qui lui aussi mériterait de plus amples développements. Car comment faire la part des choses entre la volonté de pérenniser une information produite par un auteur pour l’intérêt du plus grand nombre et les droits de chaque créateur à définir les limites de diffusion et d’exploitation de leur œuvre ?
Le contrôle des œuvres peut aussi dépendre des moyens de diffusion qu’un auteur a à sa disposition pour publier un contenu sur Internet, et plus particulièrement sur le Web. Il peut soit choisir d’utiliser son propre site Internet (ce qui demande des compétences techniques assez importantes), soit utiliser des services d’hébergements privés31) (qui eux proposent aux utilisateurs des solutions de publication et d’hébergement simplifiées). Il est important de noter qu’en échange de l’apparente gratuité dans l’utilisation de leurs services, ces acteurs privés (donc à but lucratif) acquièrent pour chaque contenu ajouté, généré sur leur site, des droits patrimoniaux pour le bon fonctionnement de ces services. La réutilisation de ce même contenu par d’autres sociétés privées peut entraîner une confusion pour le créateur et propriétaire du contenu. À titre d’exemple, je citerai un cas apparu lors du tremblement de terre à Haïti en 2010. Au moment du tremblement de terre, seuls des photographes amateurs étaient présents. Ayant mis rapidement leurs photographies en ligne pour témoigner de l’incident, certaines de leurs images furent utilisées dès le lendemain en première page de journaux à travers le monde, sans leur autorisation. Les éditeurs de journaux ne voulurent pas rétribuer les auteurs, arguant du fait, qu’en l’ayant publié sur une plateforme collaborative en ligne, ils ne disposaient plus du droit exclusif de représentation sur ce contenu.32) Dès lors et selon leur raisonnement, on voit comment le droit d’auteur est perturbé, détourné, voire annihilé.
Figure 8. Une des photographies du photographe haïtien Daniel Morel, vendu par l’AFP/Getty aux journaux du monde entier. 33)
L’auteur de la photographie, Daniel Morel après réclamation devant les tribunaux a pu faire prévaloir son droit moral sur cette photographie et casser l’argument avancé par les sociétés privées ayant plaidé l’existence « d’un droit à la réutilisation par la pratique des internautes ». Droit que les avocats des sociétés privées en question ont plaidé à partir de la lecture des conditions d’utilisation des réseaux sociaux sur lesquels a été publiée la photographie. Cet argument a été finalement jugé irrecevable par le tribunal. Ainsi, en cas de préjudice d’exploitation d’une œuvre et malgré le fait que l’infraction se soit passée sur des plateformes privées encadrant les droits d’un auteur à diffuser une œuvre, la jurisprudence a donné raison à l’auteur en cas d’exploitation financière d’une œuvre sans son autorisation, comme le stipulent les lois sur le droit d’auteur. Mais dans la pratique, il est assez difficile pour un auteur de faire valoir ses droits et de contrôler voire d’interdire la diffusion d’une œuvre préalablement mise en ligne. Surtout si ces diffusions illégales ne donnent pas lieu à une exploitation commerciale.
On le voit, le médium numérique induit une remise à plat du système de valeurs des biens informationnels, à la fois dans la création et la « consommation » de ce type d’informations. Et pour bien comprendre ce changement de valeurs, je reviendrai à la notion de rivalité pensée par Yochaï Benkler34) dans le cadre de la création de biens de consommation. Pour lui, on peut distinguer deux types de biens, les biens rivaux et non rivaux. Dans le cas d’un bien rival, la valeur d’un bien, d’une information sont dépendante de son coût de production, dépendant des moyens physiques et financiers mis en œuvre pour sa création. Ces frais relatifs se reportent sur le coût final de ce bien. Cette contrainte de production donne intrinsèquement une valeur à l’objet, du moins un coût de production minimum, que l’on définit par le terme de coût marginal. Et la rareté de cette production influe plus encore sur cette valeur supposée et sur « l’aura »35) de cet objet. Dans le cas d’un bien non rival, après qu’une information a été créée (n’impliquant généralement qu’une utilisation négligeable de matière première et donc un coût fixe négligeable), le fait de la diffuser, de la consommer, de la lire ou de la céder à un autre propriétaire n’entraîne pas la perte de valeur pour le propriétaire du bien. Dans le cadre du médium numérique, on se trouve dans cette deuxième catégorie, celle où les données vont garder une valeur immuable, malgré le fait qu’elles soient lues ou copiées. On comprend mieux alors pourquoi la création par la copie numérique va pouvoir prendre de l’ampleur grâce à ce contexte de non-rivalité généralisée. Penser la valeur et le droit d’auteur renvoie aussi tout simplement à la rétribution concrète et juste d’un travail intellectuel reposant sur la qualité d’un contenu ainsi que sur un temps et un niveau de prestation donnés. Or paradoxalement, s’il est de plus en plus facile de créer un contenu et de le diffuser, il est aussi de plus en plus difficile de se faire rétribuer par rapport au temps consacré à créer des contenus. C’est ce qu’explique Cory Doctorow, en venant appuyer la théorie de Yochaï Benkler, avec le concept de « Maladie des coûts (…) un concept économique qui est essentiel à la compréhension de la relation entre les coûts de main-d’œuvre et les arts. D’abord proposée par William J. Baumol dans les années 1960, la maladie des coûts décrit la façon dont la technologie semble augmenter le coût des “services” (sachant que dans le jargon économique, faire de la musique et écrire des livres sont deux “services”). Il est admis que la technologie réduit généralement la quantité de travail nécessaire pour créer des choses physiques. Ainsi, « chaque année, l’automatisation entraîne une baisse du nombre d’heures de travail nécessaire à un humain pour assembler une voiture ; et ainsi, chaque année, pour l’acheteur moyen, les voitures ont tendance à devenir plus abordables, car leurs coûts de main-d’œuvre diminuent. ».36) Mais parallèlement, le coût des « services » lui ne change pas, car il est plus difficile d’automatiser une production intellectuelle. Donc, proportionnellement, et au fur et à mesure des années, la part d’investissement consacré aux « services » par rapport à la technologie devient plus importante. Comme l’explique Cory Doctorow, « que vous écriviez un roman, exécutiez une chanson ou peigniez une peinture, il y a des coûts, à la fois en temps et en argent, qui ne peuvent être réduits. ».37)
Si les auteurs veulent pouvoir gagner de l’argent en échange du temps qu’ils ont consacré à créer des « services », ils vont devoir adopter de nouvelles tactiques mercantiles et ce d’autant plus que le schéma traditionnel de « devoir payer pour lire ou consommer un média » se trouve bouleversé. Dans un premier temps et selon Cory Doctorow, beaucoup d’auteurs vont utiliser la strate relationnelle du réseau Internet (réseaux sociaux) pour gagner en popularité en distribuant leur contenu de manière désintéressée. En ayant atteint un certain nombre de fans par la distribution des contenus qu’il a créés à perte, un auteur va pouvoir ensuite tenter d’être rétribué pour son travail par la vente de produits dérivés à ses fans, le plus souvent sous la forme d’objets physiques tels des livres, des photographies, des impressions, des compacts-disques, etc. Il est intéressant de souligner que l’on voit ici l’auteur exploiter lui-même le principe de non-rivalité dont parle Yochaï Benkler38). Et qu’il décale et redéfinit les limites classiques attribuées à l’activité d’auteur par rapport au diffuseur.
Au final de cette rapide réflexion sur le droit d’auteur, je soulignerai qu’une des constantes de son histoire est son instabilité et sa soumission aux rapports de force entre auteurs, producteurs, diffuseurs et récepteurs. Mais surtout que l’hypersphère accroît considérablement ce jeu d’acteurs et croise voire hybride ces nombreuses fonctions auparavant délimitées. Cette relative confusion des contours de la propriété prend un sens particulier au regard des pratiques de remix qui intéressent mon sujet. Je propose donc d’y revenir dans la partie suivante.
Article suivant : iii.La création numérique et la transgression du droit d’auteur
Article précédent : i.L’abondance, des médias de masse à Internet